A partir de la belle idée de revenir au genre flamboyant du cinéma d’action Hong-Kongais des années 90, et de le confronter à la modernité, Larry Yang réussit un triomphe absolu au box office chinois, mais ne contentera qu’à moitié les fans occidentaux. Reste la prestation parfaite de Jackie Chan et, surtout, de Tony Leung Ka Fai, au niveau leurs légendes respectives.

La reprise de contrôle sur Hong Kong par la Chine a mis fin, comme on le craignait, à la démocratie. Et dans la foulée, a profondément appauvri le rayonnement culturel de cette ville qui fut un temps une sorte de « phare » dans la région, en particulier en termes de cinéma. Car le cinéma de Hong-Kong a été pendant plusieurs décennies l’un des plus importants du monde, aussi bien dans le domaine du cinéma populaire – les polars, les films d’arts martiaux – que dans celui du cinéma d’auteur. La frontière entre les deux étant parfois assez trouble, ce qui ajoutait à notre plaisir de cinéphile. Tout cela a à peu près disparu (il y a quelques exceptions, bien entendu), nous laissant orphelins d’un pan entier de notre amour pour le Cinéma.
Dans ce contexte, la sortie sur les écrans de The Shadow’s Edge, co-production hong-kongaise et chinoise, filmée à Macao (comme nombre de classiques de la grande époque), et ramenant sur le devant de la scène les deux monstres sacrés que sont Jackie Chan (71 ans) et Tony Leung Ka Fai (67 ans), était l’événement incontournable de la semaine. Sinon du mois. Voire de l’année 2025. Enorme succès commercial en Chine – et on ne savait pas a priori si c’était rassurant ou inquiétant -, le film de Larry Yang est le remake de Eye In The Sky, une production Johnnie To de 2007, qui se concentrait sur le travail d’une équipe policière de surveillance, travaillant dans la rue pour identifier les membres d’un gang responsable de cambriolages.
Le scénario de Yang actualise le contexte, les caméras de surveillance d’il y a 20 ans étant désormais remplacées par de complexes systèmes drivés par l’IA, dans un quasi délire technologique stupéfiant. On pourrait soupçonner ce déploiement à l’écran d’outils futuristes de participer à la propagande du gouvernement chinois quant à sa supériorité dans ce domaine, mais on doit aussi se rappeler que la Chine a depuis longtemps investi lourdement dans le contrôle de sa population…
L’ironie est que le thème de The Shadow’s Edge est l’efficacité des vieilles méthodes de la police « classique », personnalisée par un Wong (Jackie Chan) que l’on tire de sa retraite : il doit mettre en place une petite équipe sur le terrain, chargée d’identifier un mystérieux caïd de la pègre (Tony Leung Ka Fai), responsable d’un casse spectaculaire, avec l’aide de ses sept fils (adoptifs, c’est important dans l’histoire)… une identification que toute la technologie moderne n’est pas capable de réaliser. De là à voir le film comme une métaphore de l’opposition entre le cinéma hong-kongais traditionnel, représenté par Chan et Leung, et les blockbusters internationaux comme Mission: Impossible (qui semble quand même être le modèle visé par les producteurs du film), il n’y a qu’un pas, que nous n’hésiterons pas à franchir !
Quand on considère la multiplication des combats à mains nues ou au couteau, les cascades physiques avec force destruction du décor, les acrobaties réalisées avec les fils traditionnels (régulièrement visibles à l’écran, d’ailleurs : négligence ou volonté assumée d’hommage aux techniques anciennes ?), on est bel bien dans le savoir-faire historique du cinéma hong-kongais, greffé sur un univers quasi science-fictionnel.
Mais le plus intéressant – pour nous en tous cas – dans un film monté de manière hystérique et accumulant les scènes de violence spectaculaires, c’est le face-à-face à haute tension entre un policier malin et un criminel / genie du mal qui appartiennent tous deux à « l’ancienne génération » : quand la violence s’apaise, quand le rythme se ralentit, le meilleur cinéma reprend ses droits. La plus belle partie de The Shadow’s Edge est constituée des scènes de filature du « méchant » jusqu’à son immeuble, puis de cuisine et repas où s’affronte deux intelligences aiguisées, et où le moindre faux pas peut s’avérer fatal : une petite demi-heure magique, qui tranche avec le reste des deux heures vingt d’un film épuisant, qui aurait bénéficié d’être raccourci d’une bonne quinzaine de minutes.
Comme souvent dans le cinéma hongkongais, la partie mélodramatique de l’histoire (le lien se construisant entre Wong et sa jeune « élève », les rapports d’amour-haine entre le criminel et ses fils) est bien peu subtile, voire même souvent caricaturale. Et la complexité aberrante d’un scénario outrancier dans ses rebondissements incessants ne fonctionne (et encore, difficilement) que grâce à la rapidité du montage et de l’enchaînement des scènes : le spectateur n’a qu’à admettre ce qu’il ne comprend pas pour pouvoir continuer à suivre l’action ! Quant à Jackie Chan et Tony Leung Ka Fai, il est clair que leur âge ne leur permet plus d’effectuer réellement les cascades qu’on leur demande, ce qui conduit à un tournage ralenti (comme on le voit avec les traditionnelles images de « gaffes » pendant le générique de fin), destiné à être ensuite accéléré au montage… et résultant donc dans une lisibilité des scènes d’action qui n’est pas optimale…
Il reste que The Shadow’s Edge est un divertissement de bonne facture, capable de séduire – ce qui a été le cas en Chine – aussi bien les nostalgiques du cinéma artisanal d’antan que le plus jeune public, biberonné aux blockbusters d’action contemporains. Mais c’est aussi une nouvelle confirmation de la validité de la fameuse déclaration d’Hitchcock, « Plus le méchant est méchant, plus le film est réussi » : Tony Leung Ka Fai est fascinant, et porte sur ses robustes épaules la plus grande partie de la magie de The Shadow’s Edge.
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Eric Debarnot
