Faut-il encore présenter Jim Thompson, l’un des auteurs majeurs de la littérature américaine du XXe siècle ? A l’occasion de la réédition de quatre de ses romans, revenons sur cette œuvre noire absolument fondamentale.
Jim Thompson compte sans aucun doute parmi les grandes figures de la littérature américaine du XXe siècle, et pas seulement dans le domaine du roman de genre. S’il a pourtant été longtemps cantonné à la périphérie de la littérature, c’est probablement parce que son regard, désespéré et désenchanté, rend ses romans sans concession, forts et violents. Lire Jim Thompson, c’est jeter un œil dans les coins pas trop éclairés de la psychologie humaine et de la société (en particulier américaine). Et c’est précisément pour cette raison qu’il faut le lire et relire régulièrement. Ça tombe bien ! Les éditions Rivages, qui ont entrepris depuis longtemps la publication des œuvres complètes de Jim Thompson, nous proposent cette année la réédition de quatre livres importants. De nouvelles couvertures, des préfaces éclairantes : l’occasion rêvée de se (re)plonger dans ses romans. Que nous avons choisi de présenter autour des grands thèmes qui structurent l’univers thompsonien.
Ce qui est intéressant, ici, c’est que ces romans couvrent trente ans d’écriture : du début des années 1940 (Ici et maintenant, 1942) jusqu’au début des années 1970 (Rage Noire 1972), en passant par les années 1950 (Les Alcooliques, 1953 ; La Mort viendra, petite, 1955). Malgré cela, tous témoignent du style et de la cohérence de Jim Thompson. À commencer par le fait qu’il ne s’agit pas de romans policiers classiques, mais de véritables romans noirs, parfois très noirs. Des personnages à la dérive et opprimés, aliénés et enfermés se croisent, incapables de s’aider ou s’entraînant dans des plans foireux. L’alcool, la dépendance, la fragilité, l’aliénation… tout cela concourt à faire des romans désespérés et désespérants.
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michèle Valencia
320 pages – 9,50 €
L’alcoolisme et la dépendance traversent toute l’œuvre de Jim Thompson. Dans Ici et maintenant, livre d’inspiration autobiographique, Thompson puise dans sa propre vie pour développer pourtant ce thème qui deviendra récurrent dans son œuvre à venir. Dans Les Alcooliques, l’action se déroule carrément dans une clinique de désintoxication au bord de la faillite, où un médecin très empathique – Thompson fait preuve de beaucoup d’humanité envers ces alcooliques – n’arrive pas à soigner des patients incapables d’échapper à leur « vice ». Dans La Mort viendra, petite, la dépendance à l’alcool est également présente, à travers le personnage de Kay, une veuve alcoolique, embarquée dans une histoire qui finira mal avec deux autres personnages borderline. Même dans Rage Noire, si le thème de l’alcoolisme est moins explicite, il n’en reste pas moins présent : Allen, le personnage principal – qui a moins de 18 ans – n’a aucune hésitation à boire des alcools forts.
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez
208 pages – 8,20 €
Cette dépendance et aussi la violence du monde alimentent chez les personnages un rapport au réel particulièrement confus. De fait, les romans de Jim Thompson oscillent entre une approche réaliste et une sorte de folie qui contamine une grande partie des personnages. C’est vrai dans Ici et Maintenant, mais aussi dans Les Alcooliques, où on ne sait plus bien ce qui relève de la réalité et de l’hallucination. Et dans Rage Noire, le personnage est incapable de vivre dans la réalité qui l’oppresse, une société raciste et violente, à laquelle il ne peut se confronter qu’au travers d’une rage extrême et destructrice.
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Luc Chomarat
208 pages – 8,20 €
À ce rapport confus au réel s’ajoute la grande fragilité psychologique des personnages, souvent en proie à la folie ou au désordre mental. Ici et maintenant s’articule clairement autour d’une certaine forme de folie. Thompson y décrit en effet son travail dans une usine d’aéronautique dans les années 40 et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il présente cette expérience comme une sorte d’aliénation absurde. Les Alcooliques brouille constamment les pistes entre ce qui relève de la maladie, du délire ou du complot et de la manipulation. La folie traverse aussi La Mort viendra, petite, où le narrateur Kid Collins est un ancien boxeur qui vient de s’enfuir de l’hôpital psychiatrique où il était interné. Collins est l’un de ces anti-héros fragiles et inquiétants, pathétiques et effrayants qui peuplent l’univers de l’écrivain. Enfin, dans Rage Noire, le lecteur assiste à la décomposition psychologique d’Allen, personnage instable, en proie à une rage violente, psychotique, qui le définit et le tient prisonnier.
Jim Thompson nous raconte des vies petites et brisées, marquées par l’alcool comme refuge inéluctable et la folie comme seule issue face à un monde dur et sans pitié. Un monde oppressant. Cette oppression est d’ailleurs parfaitement rendue par les environnements clos et étouffants dans lesquels Jim Thompson inscrit ses récits : une usine d’aviation pendant la guerre (Ici et maintenant), une clinique de désintoxication en faillite (Les Alcooliques), un hôpital psychiatrique (La Mort viendra, petite) ou une école (Rage Noire), tous ces univers sont présentés comme des espaces clos, hostiles, où l’aliénation et l’absence d’issue dominent. Et, encore plus intéressant, Jim Thompson met sur le même plan hôpital psychiatrique ou clinique de désintoxication, école et usine.
Quatre romans bruts, sans concessions, donc, écrits dans l’urgence, sans recherche de virtuosité romanesque. Quatre romans importants, même si à des degrés divers. Ici et maintenant et Les Alcooliques sont des romans sans doute mineurs au regard des chefs d’œuvre à venir, mais ils apportent néanmoins un éclairage passionnant sur les débuts de cet auteur. Rage Noire, un des derniers romans de Jim Thompson, est aussi l’un des plus noirs, des plus brutaux, violents et dérangeants – une sorte d’American Psycho avant l’heure. La Mort viendra, petite est probablement le plus thompsonien du lot. Construit autour d’une combine douteuse et bancale – l’enlèvement d’un enfant dans le but d’extorquer une forte rançon à ses parents –, le roman fonce vers l’un de ces dénouements inoubliables dont Jim Thompson avait le secret.
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Frank Reichert
288 pages – 9 €
Tuus ces romans sont parus le 12 novembre 2025 chezq Rivages