À la Cigale, Tom McRae aurait dû célébrer en majesté l’album qui a changé la vie de tant d’auditeurs. Il en est sorti un show frustrant, émouvant mais douloureux, où le public et les musiciens sont venus à la rescousse de l’artiste en panne de voix.

Le 2 octobre 2000 sortait un pur chef-d’œuvre, le premier disque d’un jeune Anglais, Tom McRae, composé de 11 chansons divines, qu’il illuminait de sa voix d’ange androgyne. En dépit de critiques largement favorables, l’impact du disque n’eut pas l’ampleur espérée, et une bonne partie de la population rock continue à lui préférer, dans un registre semblable, mais à notre avis, inférieur, le Grace de Jeff Buckley. Disons juste que ceux qui « savent », et ils sont nombreux en France, car Tom est très francophile et tourne régulièrement chez nous, n’en pensent pas moins… L’annonce par Tom d’une revisite live, en format groupe, de l’intégralité de cet album, a donc ému le microcosme (pas si micro que ça, quand même) de ses fans. La seule mauvaise nouvelle, a priori, étant que la Cigale est dans une rare configuration « assise », ce qui n’est pas la meilleure manière d’assister à un concert.
A 20h, la britannico-allemande, née à Barcelone et vivant à Bruxelles Bianca Steck investit la scène de la Cigale devant un public encore clairsemé. C’est sans doute accentué par la « tranquillité d’esprit » assurée par les places numérotées, qui n’est jamais un cadeau pour les artistes jouant en première partie. Bianca est à la guitare électrique, mais accompagnée d’une harpiste qui va nous offrir un travail remarquable pour habiller les chansons très dépouillées de Bianca. Bianca a une voix très particulière, et clairement clivante si j’en crois les remarques autour de moi. Personnellement, j’apprécie cette singularité… mais un peu moins l’uniformité des chansons qu’elle déroule… sans qu’il se passe grand-chose émotionnellement. Entre un public clairement peu attentif (moi-même, j’avais la tête ailleurs, dans l’anticipation des délices qui allaient suivre) et une interprétation sans doute trop détachée pour son propre bien, Bianca n’a pas convaincu grand monde ce soir. Une artiste potentiellement intéressante, à revoir dans un cadre plus intime, pour mieux juger de la qualité de ses chansons.
… Et peu à peu, l’inquiétude monte, alors que les minutes défilent et que nous dépassons l’heure prévue pour le début du show – 20h50, je crois. Quelque chose n’est pas normal. Et quand, avec vingt minutes de retard, Tom McRae prend le micro, c’est pour nous dire que, il y a quelques minutes encore, il pensait annuler le concert : il est tombé soudainement très malade, il n’a plus de voix, il n’arrivera sans doute pas à chanter… Mais il a décidé d’essayer quand même. Soulagement général… et surtout des gens, forcément nombreux, qui sont venus de loin pour ce concert réellement exceptionnel… Il faut comprendre : il y a les conséquences financières pour la production d’une annulation de dernière minute, mais également, et on sait que c’est important pour lui, il y a les réticences de Tom à décevoir ses fans.
Le problème est que, et c’est cruellement audible, dès Cut Your Hair, Tom n’a pas menti et n’est pas vraiment en capacité de chanter. L’heure et quart qui va suivre va donc être une souffrance – visible même – pour Tom qui va faire des efforts surhumains pour assurer un « service – vocal – minimum »… ce qui, sur certains passages, étant donné la difficulté des chansons, s’avérera littéralement impossible. Dans ces moments de blocage, le public prendra le relais, chantant seul de longs passages des chansons, de manière tantôt spontanée, tantôt orchestrée par Tom. Et le groupe, complice, fera également tout son possible pour embellir un set qui sera, inévitablement, bien loin du niveau sublime que nous attendions (et que Tom est parfaitement capable d’offrir, on le sait).
Dans ces conditions, prendre du plaisir en tant que spectateur est très difficile : les chansons, bénéficiant heureusement de mélodies parfaites et de textes percutants (on n’a pas oublié le célèbre : « If songs could kill / This one’s for you » du merveilleux Boy With The Bubble Gun !) tiennent relativement toutes seules, aidées en plus par notre mémoire des versions studio. Mais quand même, quelle tristesse, quelle souffrance aussi de voir les tourments que s’inflige Tom sur scène pour arriver à nous offrir quelque chose.
Nous attendions de la magie, une magie que peu d’artistes vivants peuvent nous offrir, et nous avons eu une soirée frustrante, émotionnellement difficile, embellie toutefois par la solidarité et le soutien du public envers l’artiste, et sans doute le soulagement de Tom et de son groupe de voir que la soirée n’était pas un fiasco complet.
Il me faut maintenant parler du moment le plus douloureux du concert, l’interprétation difficile, limitée de São Palo Rain, en avant-dernière position sur l’album. Il me faut avouer que cette chanson est IMPORTANTE pour moi, qui, en 2000, habitait les alentours de São Paulo, et qui, alors que pendant la saison des pluies torrentielles typiques de cette métropole au climat difficile, écoutait en boucle cette chanson sublime. Que j’ai toujours écoutée comme « écrite avant tout pour moi ». Et comme idéalement représentative de l’atmosphère de cette ville que j’aime profondément, et de la tension et même l’angoisse qui s’installe sous les déluges d’eau. Sincèrement, cette chanson était LE principal motif pour moi d’être là ce soir. Et le fait que, bien entendu, Tom n’ait pas été en condition de restituer son lyrisme sombre, de faire couler les larmes qui, logiquement, me venaient aux yeux, a été… accablant.
Pour finir, étant donné le couvre-feu de 22h30 et le démarrage tardif du set, Tom n’a pu nous offrir qu’un final « réduit », mais généreux : il est descendu dans la salle pour être au plus près de nous, et chanter en chœur le « It’s Gonna Be Ok » de Hoping Against Hope. Et remonté sur scène, en saluant et en nous remerciant pour notre amour, il nous a promis solennellement de revenir faire ce même concert dans un an.
Je dois dire que je suis sorti de la Cigale déçu par cette soirée, mais également entouré de gens plus positifs que moi, se réjouissant de « l’émotion » dégagée, et du « courage » de Tom qui a fait son maximum dans des conditions difficiles. Verre à moitié vide ou à moitié plein ? On attend avec impatience le verre complètement plein, en 2026 : le rendez-vous est pris.
« We were so alive / Shelter me from this sky / Dance with me one last time / São Paulo rain » (Nous étions tellement vivants / Protège-moi de ce ciel / Danse avec moi une dernière fois / Pluie de São Paulo).
Bianca Steck : ![]()
Tom McRae : ![]()
Eric Debarnot
Photos : Laetitia Mavrel / Eric Debarnot
Tom McRae et Bianca Steck à la Cigale (Paris)
Production : Alias
Date : dimanche 7 décembre 2025
Leurs albums :
Bianca Steck – The Joy of Coincidences
Label : Unday Records
Date de parution : 14 mars 2025
Tom McRae – Tom McRae
Label : dB Records
Date de parution : 2 octobre 2020
