Nos 50 albums préférés des années 80 : 3. Roky Erickson And The Aliens (1980)

Pas forcément les « meilleurs » disques des années 80, mais ceux qui nous ont accompagnés, que nous avons aimés : aujourd’hui, la suite des aventures de Roky Erickson, après les 13th Floor Elevators !

Roky Erickson and The Aliens Image

La vieille superstition américaine selon laquelle un 13e étage porterait malheur semble avoir trouvé une étrange confirmation dans le destin d’un groupe texan qui aurait pu devenir l’un des plus grands des sixties. Les années d’errance de Roky Erickson furent aussi chaotiques et tourmentées que l’histoire des 13th Floor Elevators, une saga marquée par les drames et couronnée par une reconnaissance beaucoup trop tardive.

Roky Erickson rectoFallait-il y voir un signe annonciateur du chaos qui allait frapper Roky ? Entre interprétations ésotériques, symbolisme numérique ou excès de LSD, aucune explication ne suffit à elle seule. Mais les faits – abondamment documentés – ont fini par installer Roky aux côtés de Syd Barrett, Skip Spence ou Brian Wilson, sur le trône des outsiders foudroyés par leur propre génie. À force de vouloir dérober le feu du ciel, il s’y est brûlé les ailes.

Le conservatisme du Texas dans les années 60 a joué un rôle déterminant dans l’effondrement psychologique des membres des 13th Floor Elevators. La censure, les pressions et les intimidations des autorités locales ont fini par mettre un terme définitif aux activités du groupe le plus psychédélique de son époque. L’ascenseur est resté bloqué à un étage maudit, figé à jamais.

Après un séjour au Rusk State Hospital – établissement psychiatrique réputé pour sa dureté, où l’on enfermait criminels et psychopathes – afin d’échapper à des poursuites pour possession de marijuana, Roky entame pourtant la période la plus prolifique de sa carrière. C’est grâce à Doug Sahm que sort en 1975 le 45 tours Red Temple Prayer (Two Headed Dog), prélude à un album produit par Stu Cook, bassiste de Creedence Clearwater Revival. À l’aube des années 80, Roky Erickson and the Aliens, publié pour ses 33 ans, condense toutes ses visions horrifiques. Un disque dont la singularité explique sans doute la difficulté que beaucoup ont eue à suivre son retour.

Roky Erickson Side 1S’étant symboliquement détaché du genre humain en demandant que son état civil soit modifié pour devenir « Alien », Roky livre ici une œuvre presque entièrement intérieure. On y devine un cerveau en perpétuelle surcharge, comme projeté sur un écran de cinéma.

Étrangement, l’album est distribué par CBS au Royaume-Uni puis aux Pays-Bas, tandis qu’aux États-Unis, le label hésite sur la manière d’exploiter cette matière instable. À l’opposé d’International Artists, qui avait bâclé la promotion des trois albums des Elevators, l’intérêt dépasse pourtant rapidement le cercle des fans, notamment grâce à I Walked with a Zombie et Cold Night for Alligators, où la voix de Roky, miraculeusement intacte, impressionne toujours.

Roky Erickson Side 2Quelques critiques reprochent une utilisation excessive des synthés et un son trop caverneux. Les musiciens invités, pourtant chevronnés, resteront anonymes. La scène texane, qui avait vu éclore Janis Joplin – côtoyée par les Elevators lors d’une tournée en Californie –, n’a jamais vraiment adhéré à la mode hippie. Roky, Stacy et les autres la détestaient, malgré ce que certains journalistes ont pu écrire.

Si plusieurs titres ont inspiré les créateurs de l’Austin Psych Fest (aujourd’hui Levitation), c’est bien la preuve de l’empreinte durable laissée par le groupe texan.

Roky a écrit des centaines de textes, souvent traversés par l’expérience de la vie côtoyant la mort, avec une étrange capacité de dédoublement : entendre, comprendre et ressentir ses propres actes de l’intérieur. Mine Mine Mind ressemble pourtant à une perte totale de repères, l’expression d’une âme fragmentée comme un puzzle impossible à reconstituer.

Pour la promotion du disque, Roky ne réussit à se produire qu’une seule fois, parvenant à dompter ses délires juste avant de monter sur scène : « Des abeilles sont entrées par la ventilation de la salle de bains. Quand j’ai voulu m’échapper, mon cerveau est tombé par terre et j’ai dû le faire recoudre par un chirurgien de passage. »

Comme un prédicateur rongé par le doute, Roky s’enfonce dans l’ombre. Les paroles convoquent les monstres de la Hammer, teintées d’un gothique en avance sur son temps. Surnommé « The Evil One » (cette expression étant d’ailleurs le titre souhaité pour l’album, refusé par la maison de disques), il subissait des ruptures fréquentes avec la réalité. Sa mère Evelyn, dévote et farouchement opposée aux soins médicaux, exerçait sur lui une influence délétère ; les proches assistaient impuissants à sa descente aux enfers.

Sans prétendre décrire parfaitement son génie tourmenté, on peut noter la manière dont chaque chanson semble s’enchaîner naturellement avec la suivante. La pochette, inspirée par Gustave Doré et ses illustrations de la Divine Comédie publiées en 1861 sans soutien éditorial, renforce ce parallèle avec les artistes incompris de leur temps. Les noms auxquels on pense sont aussi nombreux que ceux que l’histoire a un jour oubliés.

Franck irle

Roky Erickson And The Aliens – Roky Erickson And The Aliens / The Evil One
Label : CBS
Date de sortie : Aout 1980 (UK)

 

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