Michel Cloup et son groupe étaient de retour à Paris pour la « release party » de l’acclamé Catharsis en pièces détachées, publié en novembre. Un défi de taille pour le trio toulousain, vu la complexité et la densité de ce double album intense.

Il était attendu au tournant après un accueil critique élogieux unanime pour son dernier album, paru en novembre, et Michel Cloup n’a pas failli. Homme de l’hiver, autant météorologique que calendaire, le Toulousain revient de manière métronomique à Paris, tous les deux ou trois ans, vers décembre ou janvier, pour présenter son nouvel album. On n’a pas perdu l’espoir de le voir un jour en été, peut-être cela est-il moins improbable au fond que de la neige en été. C’est en tout cas un 12 décembre, gris et doux pour la saison, que son label Ici d’ailleurs et son tourneur, la pointue Station Service, qui rend visibles un grand nombre d’artistes singuliers et radicaux dans leurs univers et leurs engagements, ont choisi pour cette « release party » à Paris. ,Et ça se passe sur la péniche de Petit Bain, où l’intéressé a joué plusieurs fois. Il semble certes loin le temps où Cloup remplissait la Gaîté Lyrique (sur la tournée Minuit dans tes bras, live mémorable qui a été publié). Mais Petit Bain est bien rempli d’un public fidèle, heureux de retrouver l’ex leader de Diabologum et Expérience, auteur ensuite d’une œuvre en solo, duo et trio, toujours singulière, différente à chaque fois, mais d’une rare cohérence.
Ce soir, l’enjeu pour Michel Cloup et ses acolytes Manon Labry (guitare) et Julien Rufié (batterie, et, sur l’album à la programmation et aux claviers) est de retranscrire sur scène Catharsis en pièces détachées, le nouvel album, double et donc pléthorique. Le défi est aussi double : d’une part, adapter un album équilibré musicalement entre mélodies organiques et électroniques, d’autre part, faire des choix dans les 75 minutes de musique nouvelle récemment publiées. Pour ce faire, le groupe a travaillé d’arrache-pied, profitant de résidences à Nîmes et Toulouse pendant l’été. Michel Cloup nous l’expliquait en interview : « C’était un peu un challenge parce que les trois quarts des morceaux, on les a enregistrés sans les jouer donc il a fallu les adapter à la scène et ça a demandé du boulot. C’est beaucoup plus électronique que le précédent mais tout est « joué » [sur scène] : on ne fait pas « play » sur l’ordinateur en faisant semblant de jouer derrière… » Autre choix fort pour ce live, sur une bonne partie des titres, Manon Labry assure seule à la guitare, en retrait sur scène, mais bel et bien structurante dans le son, permettant à Michel Cloup de se concentrer sur le chant. A la fois plus confortable pour lui vu la densité des textes à mémoriser, décliner, cracher parfois, et aussi donnant une nouvelle énergie, différente de la tournée du précédent album. De l’autre côté de la scène, arpentée par le « patron », le fidèle Julien Rufié assure aussi, en martelant ses fûts.

Le résultat de l’important travail en amont se voit d’emblée avec le doublé des deux singles les plus efficaces du dernier album, La Honte puis Hachoirs et machettes (chanté seul sans l’acolyte Nonstop, avec qui Cloup parle, chante, scande, en duo plus que duel, sur la version enregistrée). Le groupe joue carré, puissant, efficace, sans période de préchauffage. Le ton est donné, et sera tenu jusqu’au bout, en déclinant la quasi intégralité du dernier album, dans le désordre. Quasiment tout, dont la chanson monumentale clôturant l’album, Pour qui, pourquoi ?, soit vingt minutes de spoken word sur fond de guitares de plus en plus noisy, autour de la dégradation brutale de la condition d’artiste en France. Mais avec un parti pris fort : la chanson est déclinée non d’un trait pour ne pas « assommer » le public, mais en trois segments, un au début, un au milieu, un à la fin, constituant un fil rouge clair, celui des obsessions et inquiétudes de son auteur. Reprenant bien son souffle avant de se lancer dans le premier segment, le chanteur y reviendra plus tard, et notamment dans son 3ème segment (intitulé PQPQ3 sur la setlist) pour confirmer que c’est bien son obsession du moment, « les artistes, tous ceux qui essayent de dire quelque chose… ».
Homme avant d’être artiste, le Toulousain n’oublie pas le reste du genre humain non plus, salué dans l’apaisée Place du Ravelin, du nom du quartier où ils habitent sa guitariste et lui, série de vignettes sur les figures du voisinage composant un touchant portrait kaléidoscopique de l’humanité, au-delà de la placette occitane. Le groupe n’oublie pas non plus décliner, à l’autre opposé de son spectre, l’hommage crépusculaire à sa tante Maria, trip angoissant avançant tout droit vers le vide. Plus ouvertement politiques, Le poison / L’antidote (aussi énorme sur scène qu’en album, et premier grand moment du concert, en 3ème position), 2027 et Le début d’une autre fin, qui conchient l’extrême centre, la victoire du libéralisme économique sans pitié, la progression culturelle de la droite et de l’extrême droite, la victoire des fake news et de la post-vérité sur la vérité tout court, constituent un deuxième fil rouge, forcément rouge, du concert. Sommet nihiliste du genre, RIP est présentée comme « une fête au cimetière », avec ce refrain faussement enjoué (« un coup de bêche, une pelletée de terre… »), où Cloup est bien appuyé au chant par Rufié. Toutes ces chansons sont jouées brutes et avec intensité comme il se doit, très bien reçues par le public, avec joie aurait-on envie d’écrire, malgré leur dose de désespérance.
Et après que le chanteur ait fini de partager ses angoisses sur le dernier segment de Pour qui, pourquoi ? en fin de set, après une heure vingt de concert, place, en rappel, à SISRAHTAC (« catharsis » à l’envers). Un instrumental en effet cathartique et noisy, imposant le bruit, le chaos, quelques cris, sans paroles. Même effet recherche que sur l’album : après tous ces mots et ces maux, il n’y a plus rien à dire, il ne « doit » plus rien y avoir à dire. « Après Pour qui, pourquoi, l’idée c’était qu’on parlait plus. Y avait plus de mots, ça y est, « ferme ta gueule, Michel, maintenant, on gueule ! » nous avait expliqué l’artiste.
Mais ce n’est pas tout-à-fait vrai, car Cloup et son groupe avaient prévu la bavarde Introspection pour clôturer le concert, dans une version prolongée, punk, parfaite. Le second des seuls deux morceaux ne figurant pas sur le dernier album, issus du précédent album, Backflip au-dessus du chaos (un disque réalisé dans des conditions créatives bien différentes, entièrement en solo, mais interprété en trio sur scène). L’autre extrait, Mon ambulance, jouée bien punk avec ses effets divers et ses applaudissements enregistrés, se terminant dans les larsens, avait trouvé sa place naturellement au cœur du set. « Je vous propose introspection, jeux de société, applications mobiles pour vos soirées d’hiver ou d’été… Instrospection, un score pour chaque catégorie : victimes, coupables, ou plutôt complices… Bourreaux, collabos, harcelés, ou justice toxiques, nantis, accablés, exploités ou juste losers… » Un titre cryptique mais qui fait sens, intime et politique à la fois : tout Cloup y est.
Et si tout dans cette heure quarante de musique sonique ne fut pas parfait, la faute à un iPad à la batterie se déchargeant inexorablement et générant son lot d’inquiétudes, et d’insultes envers Apple, c’est aussi, encore et toujours parce que Michel Cloup est définitivement humain, trop humain : « Faut pas brancher une rallonge USB sur un iPad, on en apprend tous les jours ! » Un chanteur qui salue en fin de concert sa maison de disques aventureuse Ici d’ailleurs, qui le pousse « à faire des trucs toujours plus bizarres », son attaché de presse, son tourneur pointu La Station Service, mais aussi et avant toute chose, son groupe, son équipe, et dédie le concert à son ingénieur du son Frank, disparu il y a un an, « qui aurait dû être là ce soir ». Tout cela renforce encore notre empathie et notre affection pour cet univers fait de poésie concassée et de féroce lucidité, mais aussi troué dernièrement de joie et d’humour, un peu noir forcément, comme on l’a bien vu sur scène aussi, comme quand il explique après le théâtre de guignols géopolitique David, Goliath et Godzilla : « j’aimerais bien chanter autre chose, franchement… »…
Non, surtout pas Michel, car sinon, qui serait là pour le faire ?
Michel Cloup Trio : ![]()
Jérôme Barbarossa
Photos : Robert Gil
Michel Cloup Trio à Petit Bain (Paris)
Production : La Station Service
Date : le vendredi 12 décembre 2025
Michel Cloup Trio en concert en 2026 : à Périgueux (Sans Réserve) le 12 mars, Mulhouse (Noumatroff) le 13 mars, Toulouse (Metronum) le 17 avril, Nantes (Le Ferrailleur) le 28 avril, Rennes (Les Ateliers du Vent) le 29 avril. D’autres dates à venir, disponibles notamment sur : https://www.lastationservice.org/Michel-Cloup-25
Le dernier album paru :
Michel Cloup Trio – Catharsis en pièces détachées
Label : Ici d’ailleurs
Date de parution : 14 novembre 2025
