Peut-être notre plus excitante soirée musicale de 2025, in extremis : le concert de Komodrag and the Mounodor à la Clef, samedi dernier, a matérialisé une bonne partie de nos rêves, écouter de l’excellente musique reprenant le meilleur héritage des 70’s, tout en profitant d’un spectacle flamboyant, le tout dans une atmosphère de joyeux délire.

Depuis quelques mois, un nom pour le moins étrange a fait surface au milieu de la riche scène rock française : Komodrag and the Mounodor… Devant notre incrédulité, des amis nous ont expliqué qu’il s’agit en fait de l’association de deux groupes bretons – apparemment, c’est important – jouant du Rock psyché, Komodor et Moundrag. Les musiciens, en jammant ensemble, ont réalisé combien leur culture musicale était proche : fans, entre autres, de Grand Funk Railroad, du Jefferson Airplane et de CSNY, ils ont décidé de fonder un « supergroupe » qui soit tout simplement constitué par la somme de leurs membres, pour jouer une musique dans la tradition du Rock US des seventies. Le tout, et c’est très important, dans un esprit aussi festif qu’endiablé : pas de nostalgie, ni d’hommage compassé, juste le désir de retrouver au premier degré cet esprit « d’éclate » pure et simple de l’époque. Et, car c’est là que ça devient intéressant, le succès a été immédiat : d’où un premier album, Green Fields of Armorica, et, surtout une multitude d’apparitions live qui ont fait le buzz. Et c’est comme ça que, ce soir, dans la très jolie salle de la Clef de la bonne ville de Saint-Germain-en-Laye, le meilleur groupe breton du XXIe siècle – eh oui, nous n’allons pas y aller par quatre chemins, vous allez voir – donnait son dernier concert de 2025. Nous ne pouvions pas manquer ça !
A 20h30, quatre filles montent sur scène. Elles jouent sous le nom aussi simple que surprenant de Sexy Truck, et d’emblée, la chanteuse explique franchement d’où elles nous parlent : leur premier titre est I Like Dykes, et c’est là le principal sujet de leurs chansons, l’amour entre femmes. D’où cette référence aux camions et aux camionneuses, pour s’approprier ironiquement les plaisanteries insultantes à leur encontre. Musicalement, on est dans un rock US que l’on imagine bien craché par les autoradios des truckers le long des interstates interminables, avec en bonus, et c’est la tout l’intérêt de la chose, une jolie sensibilité. La voix de la chanteuse est plutôt belle, et a les intonations soul qui vont bien. Mieux encore, les chansons ont de bonnes mélodies, qui les distinguent du tout-venant. On regrettera en revanche un son qui manque d’ampleur, de vigueur, qui reste trop poli. Mais les filles ont l’air de bien s’amuser sur scène, on sent entre elles une jolie complicité, et, reconnaissons-le même si certains diront que ce n’est pas un compliment, une fraicheur qui traduit leur amateurisme. Bref, 35 minutes intéressantes, qui donnent envie de revoir le groupe quand il aura pris un peu de bouteille. Ou quand le camion aura quelques centaines de miles en plus au compteur…
21h30 : L’intérêt de réunir sept musiciens qui forment deux groupes distincts, en leur conservant leurs rôles de départ, c’est évidemment que ça crée un sacré monstre : deux batteries (toujours bien, ça, deux batteries, regardez les exemples de Osees et de King Gizzard, entre autres), trois guitares, en plus de la basse – dont on va reparler – et des claviers, ça peut dépoter sévèrement. Mais l’arrivée sur scène de tous les membres de Komodrag and the Mounodor se fait progressivement, avec abord Camille qui s’installe à l’orgue (Hammond bien sûr), avec ses impressionnantes rouflaquettes et son air malicieux, pour lancer la bacchanale : « Are You Ready for the Boogie ? » qu’il ose nous demander ! Non, mais à qui croit-il avoir affaire ? Dans la salle, maintenant bien remplie (complète ? on l’espère), tout le monde est prêt pour la tornade qui va s’abattre sur la bonne ville de Saint-Germain, qui sommeille dans son habituelle torpeur bourgeoise. Dès ce démarrage mi-gospel mi-glam, transpercé des premiers solos de guitare qui déchirent, les choses sont claires, ce soir, ça va être de la PURE FOLIE. Ça ne fait même pas deux minutes que ça a commencé, et tout le monde est déjà à fond, sur scène comme dans la salle, même si on en voit autour de nous qui ouvrent encore de gros yeux ronds, en se demandant ce qui leur arrive.
Et l’infernal Born In the Valley va laminer toute résistance : une magnifique pièce de heavy rock avec son refrain glam qui fait lever les poings et hurler en chœur, toute honte bue, « Born In the Valley !! Born In the Valley !! » Et c’est là que l’on remarque le son très particulier de la basse, sèche et saturée, un son qui n’était pas aussi notable sur l’album : pendant qu’il hurle comme un forcené, Goudzou s’impose comme le front man le plus infernal d’un groupe qui en compte pourtant plusieurs. Ses mimiques diaboliques, ses poses outrées, son chant perçant, et sa basse qui tue, font de lui une attraction étonnante, au sein d’une troupe où chacun va jouer son rôle, selon ses goûts et sa personnalité.
Après l’impressionnant Born in the Valley, on passe à Brown Sugar, qui n’est pas une reprise des Stones, mais bien une composition originale qui permet au public de chanter (brailler plutôt, en ce qui nous concerne) avec le groupe… Et puis… mais on ne va pas passer en revue les neuf titres du set, neuf titres sans aucune baisse d’énergie ni d’intérêt, ce qui relève de l’exceptionnel. Car Komodrag and the Mounodor a mis en place une formule faussement simple, mais terriblement efficace : des compositions solides, qui convainquent dès la première écoute – peut-être parce qu’elles sont construites sur des structures et des codes musicaux qui sont devenus des standards du Rock -, des musiciens extrêmement compétents, aux vocaux comme sur leurs instruments, et une succession ininterrompue de petits (ou de grands) moments de spectacle. Chacun des musiciens va venir à son tour, sinon sur le devant de la scène, mais au moins sous les projecteurs, non pour être forcément le centre de l’attention, mais pour varier le spectacle et relancer (si nécessaire) l’intérêt : le passage au chant de Colin, qui abandonne sa batterie pour une paire de chansons, apporte ainsi une nouvelle fraicheur au set, ou, plus tard, la spectaculaire ascension des gradins, avec son pied de micro, de Goudzou impressionne même les spectateurs habitués des concerts… Ce qui différencie sans doute le plus ce groupe de la plupart des formations rock habituelles, c’est que règne sur la scène une atmosphère amicale, bienveillante et enjouée, où l’esprit de fête collective prime sur la performance individuelle.
Il est donc difficile, tant on aura l’impression de vivre un rêve humide de fan de Rock’n’roll pendant tout le set, de parler de morceaux meilleurs que les autres, mais reconnaissons que Green Fields of Armorica aura été sacrement impressionnant. Et que Marie France était un grand single pour clore le set. Clore ? Non, car il reste encore le rappel, qui va s’allonger plus que de coutume : les musiciens n’ont visiblement aucune envie d’arrêter de jouer ensemble, alors que ce concert est leur dernier de 2025. Et ce rappel est avant tout l’occasion de reprendre les grands anciens, pas pour leur rendre hommage, mais bien plutôt pour souligner cette évidence que leur musique fonctionne toujours, un demi-siècle plus tard. Après une reprise du We’re an American Band de Grand Funk Railroad (on jurerait qu’ils chantent « We’re an Armorican Band »), on atteint un nouveau sommet d’excitation et d’émotion avec Born To Be Wild, renversant, dans une version qui semble plus proche de celle du Blue Öyster Cult que de l’original (l’effet des trois guitares ?), et que nous avons écoutée en brandissant en l’air nos petites poings de manière ridicule, avec des larmes plein les yeux. Un dernier tour chez Jerry Lee Lewis (Ramblin Rose), et c’est fini… Enfin pas avant d’avoir pris le temps de dévaster un peu la scène, afin de bien marquer que c’est le chapitre 2025 qui se referme ainsi.
Bilan : même si nombre de concerts au cours de ces douze derniers mois ont été brillants, mémorables, et tout ce qu’on veut, nous avons eu finalement peu d’occasions de passer un aussi bon moment en 2025. Un moment où nos gouts musicaux ont été comblés, mais où nous avons eu également l’impression de vivre une véritable fête.
Sexy Truck : ![]()
Komodrag and the Mounodor : ![]()
Eric Debarnot
Komodrag and the Mounodor et Sexy Truck à la Clef (Saint-Germain-en-Laye)
Production : La Clef
Date : le samedi 13 décembre 2025
Leur album :
Komodrag and the Mounodor – Green Fields of Armorica
Label : Dionysiac Records
Date de parution : 20 octobre 2023
