« Grottes, Baleine, Révolution », d’Aurélien Bellanger : anatomie d’une conversion

Avec Grottes, Baleine, Révolutions, Aurélien Bellanger livre un essai autobiographique drôle et foisonnant sur ses dernières années de vie et les coulisses d’un engagement politique à l’origine, entre autres choses, de son dernier roman : Les derniers jours du Parti Socialiste

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© Bénédicte Roscot

Aurélien Bellanger a le génie des titres. L’auteur de La Théorie de l’Information, du Grand Paris et de Télé Réalité n’a jamais eu peur de donner dans l’épique (Les Derniers jours du parti Socialiste) ou dans le monumental (qui d’autre que lui pour appeler sans trembler un de ses livres Le Vingtième Siècle ..?). Il y a dans cette audace un mélange d’ambition réelle et de recul amusé sur son art et sur sa personne, qui s’expriment également à travers ses interventions médiatiques, où l’auteur se donne volontiers à voir en philosophe clown blanc, alternant autodérision et saillies benjaminiennes.

Grottes Baleine RevolutionGrottes, Baleine, Révolution, petit livre illustré comme un manuel scout ou comme un roman de W.G. Sebald ; comme un guide spéléologique ou un album de famille ; un conte initiatique ou un bréviaire révolutionnaire, se présente comme un essai. On pourrait, là encore, s’attarder sur le titre qui sonne comme une énigme, et qui pourtant est littéral : Bellanger disserte sur les grottes, sur une baleine échouée sur le sable, et sur la Révolution.

Plus précisément : sur les grands événements de son année 2023. Ces mois furent rythmés, raconte l’écrivain, par trois obsessions. La première donna lieu à une exploration frénétique de la quasi-totalité des grottes répertoriées de la Mayenne, toponymie familiale arpentée de toutes parts à la recherche de cavités célèbres et oubliées, de toutes tailles, accessibles ou dissimulées sous les ronces, à l’abri du regard. La deuxième prit racine dans le terreau immédiatement romanesque de la découverte d’un cétacé mort, à l’ombre des bunkers, sur une plage normande. Le cadavre en décomposition de la baleine, quelques semaines ou mois plus tard, devait à la faveur d’une tempête disséminer des os partout, sur le sable ou au creux des roches, au pied des falaises. C’est là que naquit chez Bellanger une pulsion de collectionnite aigue, le poussant à ramasser et à trainer sur le sable, à bout de force, des bouts de squelettes gigantesques, encore purulents, dont l’odeur pestilentielle imprègne aujourd’hui encore l’habitacle de sa voiture. La dernière, c’est la découverte et la poursuite hallucinée de « la Sauvage » : ces manifestations mobiles et spontanées qui se sont réveillées dans les rues de Paris dans le sillage des mobilisations contre la réforme des retraites et l’utilisation par le gouvernement du 49.3.

Quels liens secret entretiennent ces trois activités frénétiques ? C’est tout l’objet de l’essai de Bellanger, dont l’écriture reste fidèle à ses grands thèmes d’auteur, et particulièrement à son goût pour les correspondances souterraines entre les êtres et les choses –  dont l’illustration parfaite était sans nul doute, dans Le Vingtième Siècle, sa fascination pour les passages parisiens analysés par Walter Benjamin -. En tissant la toile de ces liens mystérieux, l’auteur poursuit et explicite ce que son dernier livre, Les Derniers Jours du Parti Socialiste, mettait à jour à travers le personnage de Sauveterre, double assumé et ironique de l’auteur. Dans cet essai comme dans son dernier roman, en effet, Bellanger mêle au matérialisme de la pensée marxiste, une mystique chrétienne. Aussi les grottes, la baleine et la « Sauvage » brillent-elles comme autant de signes élucidés par l’auteur comme les symptômes avant-coureurs d’une grande conversion : celle d’un écrivain qui selon ses dires s’était toujours tenu à distance raisonnable de la chose politique, vers un militantisme des pavés et des  poubelles en flammes.

Plus modeste et peut-être moins assurée, l’écriture labyrinthique de Bellanger laisse ici entrevoir une fragilité que l’écriture omnisciente d’un roman laisse plus difficilement s’exprimer. Avec la foi des nouveaux convertis, mais le doute aussi, et la tentation du désespoir, il saisit dans la nuit de nos sombres temps partagés, les étincelles d’un feu de joie éphémère, certes, mais qui réchauffe le cœur et qui saura renaître, comme l’espoir, à chaque coin de rue.

Alexandre Piletitch

Grottes, Baleine, Révolutions
Essai de Aurélien Bellanger
Éditions Le Seuil / Collection Le Bar de la Sirène
104 pages – 14€
Date de Parution : 3 Octobre 2025

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