Tom Smith – There Is Nothing In The Dark That Isn’t There In The Light : et je coupe la lumière !

Le premier album solo de Tom Smith, charismatique et remarquable chanteur d’Editors, n’est jamais meilleur que quand il se départit de ses tentations lyriques, voire épiques : c’est dans le dépouillement et l’intimisme qu’il se révèle magnifique, indispensable même.

Tom Smith
D.R.

Il y a des choses simples dans la manière dont se divise la population – et non, nous n’allons pas parler politique, cette fois. Par exemple, il y a les gens qui aiment les chiens, et ceux qui aiment les chats. Et même si certains se déclarent aimer tous les animaux, il y a toujours une affinité particulière à l’oeuvre pour les chats ou pour les chiens. De la même manière, parmi les mélomanes, il y a ceux qui aiment Interpol et ceux qui aiment Editors. Et même les amateurs de la renaissance du post punk au début des années 2000 vont choisir l’un au détriment de l’autre. Moi, par exemple, je suis de la « team Editors » (et j’aime les chats, pour le coup ! Y a-t-il un lien ? A voir…), alors qu’Interpol me fait royalement suer. Tout ça pour dire que si on me demande pourquoi, je pourrais argumenter qu’Editors a de bien meilleures mélodies, et qu’ils sont su ouvrir leur post-punk « classique » à l’électronique et au rock progressif. Mais la réalité est que c’est quand même la voix de Tom Smith qui est vraiment le marqueur absolu : entre Ian Curtis et Michael Stipe, si l’on veut, mais sans la panique qui transparaissait chez le premier, ni l’ambigüité du second, c’est une voix, mûre, riche, qui marque, et qui, quelque part… rassure.

There is Nothing

Alors, quand Tom Smith s’aventure sur d’autres chemins, quittant la route parcourue avec Editors, il me paraît évident de le suivre : après ses tentatives pop rock avec Andy Burrows (ex-Razorlight), le voilà avec un nouvel album, son premier en solo. Un disque qui adopte un format plus singulier, « le solo acoustique » (ou presque). Avec un titre intrigant, There Is Nothing In The Dark That Isn’t There In The Light. Alors, on éteint les lumières et on écoute, religieusement ou presque, cette nouvelle (?) « version » de Tom Smith

Il y a dans le titre de l’album, cette phrase extraite de son premier morceau, Deep Dive, quelque chose qui relève à la fois de l’aveu intime et de la méthode, illustrée par la photo de la pochette : Smith ne nous promet aucune révélation spectaculaire (que serait le vrai Tom Smith une fois sorti d’Editors ?), aucune transfiguration tardive (à 44 ans, n’est-il pas temps de tout révolutionner dans sa vie ?). A partir d’une idée très rationnelle (la peur n’invente rien, elle ne fait que déformer ce qui existe déjà, quelque chose comme ça), Smith nous offre une plongée intérieure, presque apaisée. Très loin des montées de tension et des complexités synthétiques d’Editors. Deep Dive est lente, dénudée, « près de l’os ». Piano, guitare acoustique, arrangements discrets, tout est au service de la voix. Et c’est superbe.

How Many Times, chanson sur la lassitude devant les erreurs répétées comme moteur de la remise en question, semble poursuivre dans le même registre, mais – surprise (ou pas ?) – on retrouve à mi-course quelque chose qui sonne indiscutablement « Editors » : « All we have is deep end now / When the world is against us » (Il ne nous reste plus que le fond du gouffre / Quand le monde entier est contre nous), avec un peu plus de guitare électrique ou de synthés, aurait pu faire un beau refrain épique dans le prochain album du groupe. Endings Are Breaking My Heart, à l’inverse, adopte un point de vue beaucoup moins glorieux, combattif : comme si le modèle pour Smith était cette fois le folk abattu, dépouillé, fragile mais précieux de Nick Drake. Il s’agit d’admettre que certaines fins, certaines défaites ne guérissent jamais : no happy end ! Et c’est le sommet d’émotion de l’album.

Life Is For Living poursuit le mouvement de balancier imprimé par les trois premiers titres : c’est un titre que les détracteurs d’Editors qualifieront de « naïf »… la lumière affleure, puis jaillit presque, pour la première fois dans le disque, et l’emphase – péché mignon d’Editors – n’est pas loin : « Light it all / Light it all / Light it all / La-la-la » (Illuminez tout !!!) ne déparerait pas dans une hymne pour stade du Peter Gabriel des années 80. On en rit, mais c’est indéniablement efficace. Broken Time revient – on s’y attendait désormais – à la confession intime. L’âge devient un problème, l’usure accompagne la maturité, le « temps est brisé », c’est le genre de confession que ferait un artiste fatigué de son rôle de frontman dans un groupe de Rock. Plus post-punk, mais post-Editors ? « It ain’t over / We’re not perfect by design / All these fractures / And our love has broken time » (Ce n’est pas fini / Nous ne sommes pas parfaits par nature / Toutes ces fractures / Et notre amour a brisé le temps). Cette chanson, la plus courte du disque, est l’une des plus belles.

La seconde face s’ouvre sur une pièce ambitieuse, Lights of New York City, avec une trompette très cinématographique, s’il vous plaît. Qui confronte la fragilité des sensations et des sentiments au cadre terriblement symbolique d’une mégapole. Et d’où suinte une indicible mélancolie. Tom Smith : « Cette chanson évoque la nostalgie de la jeunesse perdue, et je me remémore l’émerveillement candide d’une époque révolue de ma vie ». Souls est le moment sinon religieux, du moins « gospel » du disque. De nouveau, le vieux piège du lyrisme n’est pas loin, mais, comme dans les chansons précédentes, Tom Smith évite d’y tomber. Et l’intelligence de la production n’y est pas pour rien. Northern Line est une sorte de version britannique des hymnes du Springsteen des années 70-80 : c’est sans doute l’effet de mots comme « night », « city », « pavement », « empty station », mais on ne peut pas s’empêcher de penser à ce que la chanson aurait donné avec le E-Street Band (ou au moins le piano de Roy Bittan) derrière. Mais c’est un compliment de ma part, bien entendu.

Leave est la chanson la moins forte du disque, et oui, il en faut bien une : c’est peut-être un morceau trop évident, trop cliché, qui n’évite pas le sentiment de redondance par rapport au reste. Mais ce n’est pas grave, 10% de scorie, d’autant que la conclusion, Saturday, rattrape la sauce : l’excellente idée de Smith, c’est de revenir à la vie quotidienne, après les tentations épiques des quatre titres précédents. Après tout, le samedi, quand on a passé les vingt ans, est un jour banal, un jour de repos, pendant lequel la vie continue, simplement. La chanson symbolise le choix d’une conclusion en forme de douce résolution, d’un retour au réel ordinaire. « I only wanna hear you talk to me / Just talk to me / Would you talk to me / When late night ends » (Je veux juste t’entendre me parler / Parle-moi simplement / Me parlerais-tu encore / Quand la nuit s’achève). Tom Smith ne cherche pas à transformer la nuit en jour, mais à rendre l’obscurité habitable… et c’est bouleversant, tout simplement.

There Is Nothing In The Dark That Isn’t There In The Light n’est en fait jamais meilleur que quand Smith s’en tient au dépouillement, au murmure. On comprend dans ces moments-là qu’il s’agit d’un geste de recentrage, un réflexe de reprise de souffle. Il n’est pas question de renier Editors – dont la musique revient régulièrement interrompre l’introspection – mais de reconnaître que c’est quand il est loin du lyrisme que Tom Smith touche le plus juste.

Probablement l’un des tous derniers grands disques de l’année 2025.

Eric Debarnot

Tom Smith – There Is Nothing In The Dark That Isn’t There In The Light
Label : Play It Again Sam / [PIAS]
Date de parution : 5 décembre 2025

 

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