Très attendue, la nouvelle série de Vince Gilligan, Pluribus, reçoit des critiques enthousiastes un peu partout. Elle nous a pourtant déçus, sans même parler de son arrière-plan idéologique douteux.

Il n’y a pas plus d’une poignée de showrunners / producteurs qui comptent dans l’univers très compétitif, mais aussi très calibré, de la Série TV US, et Vince Gilligan est incontestablement l’un d’eux. Son triomphe, artistique aussi bien que commercial, avec Breaking Bad, s’est doublé d’une confirmation bien venue avec Better Call Saul, une série « spin off » peut-être même supérieure. L’annonce d’une nouvelle oeuvre de Gilligan générait donc une attente énorme, et ce d’autant qu’il était cette fois soutenu par les ambitions et les budgets d’Apple TV+, clairement à la recherche d’un nouveau coup de force prestigieux du niveau de Severance. Et le premier épisode de Pluribus (We Is Us), absolument stupéfiant, surtout si on ne connaît pas le sujet de la série (donc ne laissez personne le spoiler pour vous), nous conforte dans notre certitude que, oui, ce diable de Gilligan va « le faire encore une fois » !
Il ne va malheureusement pas en être ainsi. Car les huit épisodes suivants, quelle que soit la bienveillance que l’on ressent vis à vis de Gilligan, vont surtout démontrer que ni lui, ni son équipe de scénaristes, n’ont la moindre idée de ce qu’ils peuvent faire à partir de leur brillante idée de départ. Cinématographiquement, ces huit épisodes ont de nombreuses qualités : les mêmes que l’on a découvertes au fil de Breaking Bad et de Better Call Saul. Une réalisation de très haut niveau, une excellente direction d’acteurs, avec une Rhea Seehorn comme toujours excellente, et obligée, quasiment à elle seule, d’occuper l’écran en permanence, une jolie dose d’humour noir, une capacité à créer un sentiment de malaise à partir d’élements quotidiens, etc. Le problème est que, quel que soit notre désir d’adhérer à ce « slowburn » perpétuellement différé, ce n’est pas la lenteur de la série qui pose problème, c’est bien plutôt la vacuité de son propos.
On comprend bien le concert de départ, qui est excitant : c’est le même d’ailleurs que celui inventé par le génial Richard Matheson dans son court roman Je suis une légende (1954), adapté trois fois au cinéma, mais ayant surtout donné lieu à un film remarquable en 1971, le Survivant de Boris Sagal, avec Charlton Heston, auquel on pense beaucoup ici. Lorsqu’on est le seul survivant (ici l’une des rares survivant(e)s) sur Terre, affrontant une nouvelle humanité radicalement différente, qui est le monstre de qui ? La bonne idée de Gilligan, c’est de remplacer la violence de la confrontation entre le nouvel ordre et le survivant de l’ancien monde par une gentillesse et une bienveillance totale, qui désamorcent largement le conflit. Ce qui confère un pouvoir de fascination indiscutable à plusieurs scènes, où l’affrontement laisse place à un évitement répété. Comment Carol Sturka, femme naturellement en colère, peut-elle se révolter contre un monde qui ne veut que le bonheur de tous, et qui ne rend aucun coup qu’elle lui porte ? Voilà un concept intéressant, indiscutablement, mais qui peine évidemment à nourrir une fiction, qui semble souvent non seulement sans péripéties réelles, mais également sans enjeu ?
Nous n’en dirons pas plus pour éviter de divulguer les quelques rares rebondissements de cette série interminable (qui aurait certainement été un film de 1h45 plus convaincant), qui se prolongera en outre avec (au moins) une seconde saison. Mais nous nous permettrons une analyse beaucoup plus critique du discours de Gilligan dans Puribus, que nous trouvons quant à nous totalement aligné avec les US MAGA. Car, à partir d’un point de départ très « complotiste » (ces scientifiques qui libèrent un fléau décimant l’humanité), Pluribus ne défend-il pas ici bec et ongles la validité morale de l’individualisme égoïste face à un collectivisme qui définit le bonheur comme ne pouvant être qu’universel ? Choisissant – au milieu de tous les véhicules qu’elle pourrait utiliser – de se déplacer dans une voiture de police, Carol n’aura de cesse pendant une grande partie de la saison de mépriser, voire de haïr les autres survivants, qui ne sont pas états-uniens, et qui n’ont pas le bon esprit de résistance : entre les Indiens et les Japonais dont les priorités familiales prennent le pas sur les intérêts individuels, et l’Africain – parlant français, évidemment – qui ne songe qu’à utiliser son nouveau « pouvoir » en orgies et en abus de tous genre, nul sur la planète ne peut résister aussi bien qu’une Américaine blanche et blonde (OK, elle est lesbienne, il faut bien lâcher un peu de lest pour plaire aux téléspectateurs démocrates). Quant à la vision de l’Amérique Latine véhiculée par la série, elle correspond en tous points (au moins pour l’instant) à la doctrine trumpiste : l’un des survivants du continent, paraguayen, ne connaît que la violence, ne sait pas parler anglais, doit faire face au cours de son périple à des épreuves résultant de la brutalité endémique à son continent, et ne rentrera qu’avec difficulté dans le droit chemin (celui montré par l’états-unienne). Quant à l’autre survivante sud-américaine, péruvienne mais également membre d’une tribu indienne, sa culture l’amènera à baisser les bras et accepter son destin. Et nous ne nous étendrons pas sur la suggestion que l’usage d’armes de destruction massive soient la seule issue possible…
Bref, tout cela est bien antipathique, car, même si certains critiques se plaisent à imaginer Pluribus comme un critique d’une société futuriste pilotée par l’I.A., ce sont bien là les apprentissages que le téléspectateur US tirera de cette première saison : supériorité du blanc US sur toute autre population, haine viscérale du bien commun et de la recherche d’une société collectiviste et écologiste (il est dit ici clairement que l’écologie ne peut amener que l’extinction de la société humaine !)…
Attendons tout de même pour voir si la seconde saison poursuivra la même trajectoire idéologique, et également si Gilligan trouvera enfin quelque chose à nous raconter. Pour le moment, l’expérience Pluribus s’avère pour le moins déprimante.
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Eric Debarnot
Pluribus
Série TV US de Vince Gilligan
Avec : Rhea Seehorn, Karolina Wydra, Carlos-Manuel Vesga, Miriam Shor, Samba Schutte…
Genre : Science-fiction
9 épisodes de 45 minutes mis en ligne (Apple TV+) de novembre à décembre 2025
