Rattrapage obligatoire en cette fin d’année pour Arnaud Fournier, ex moitié des inclassables Hint, auteur de 100% Black Puzzle, son premier album solo, un des derniers grands disques de l’année 2025.

Arnaud Fournier est un drôle d’oiseau. Multi-instrumentiste talentueux (guitare, saxophone, trompette, samples), moitié du groupe inclassable Hint, avec Hervé Thomas, qui s’est reformé en 2024 pour une tournée « événementielle » pour ses trente ans, musicien professionnel dès lors, aussi fondateur de La Phaze, des Dead Hippies, et d’Atonalist, ayant ouvert pour Thurston Moore et, plus récemment, les Young Gods, l’homme s’est aussi multiplié depuis, aussi bien comme régisseur de tournée (pour Herman Dune, Miossec ou Gogol Bordello) ou manager (de Dead Chic) que comme responsable de mastère en management de projet musical (à l’ESG Nantes). De quoi en faire un homme, et un artiste, insaisissables. Angevin sûrement. Des Pays-de-Loire également, du type « dans le radar » de l’ultraréac (néanmoins « philippiste » officiellement) Christelle Morançais, Présidente du conseil régional coupeuse de subventions à ces « fichus artistes gauchistes-qui-polluent-les-têtes-blondes-de-nos-enfants-vendéens, qui devraient plutôt être biberonnés au Puy du Fou comme chacun sait, afin de mieux filer droit ». Le genre de mec qui assume de produire une mélange inclassable, rock noir, post-rock à drones, ambient poisseuse et reflets métalliques, parfois cuivrés ou électroniques. Le genre de type que Christelle Morançais ne voudrait pour rien au monde subventionner, encore moins croiser dans une ruelle du centre de Nantes ou d’Angers : son pire cauchemar. Un héros contemporain potentiel donc, pour Benzine et ses lecteurs.
Le genre de type qui force le respect en publiant, à la veille des vacances de la Toussaint, sa première œuvre solo, album rouleau compresseur de sons, d’émotions, d’énergies, merci encore une fois à l’aventureuse Ici d’ailleurs, multirécidiviste en la matière, et en particulier en cette fin 2025, pour les nouveaux albums de Michel Cloup ou encore de Zërö. 100% Black Puzzle, au titre faisant référence directe à Hint (et son album 100% White Puzzle) est muni d’une pochette peu engageante, mais esthétique, barre de HLM mi grisée, mi rosâtre, ce pourrait être n’importe où, surtout dans une banlieue française ou downtown. Et de cinq tracks seulement en 40 minutes, du type à demander patience et engagement à l’auditeur, pas le genre de chose à fredonner sous la douche. 100% Black Puzzle, la chanson, ouvre le bal avec quasiment 9 minutes instrumentales au compteur, débutée dans les arpèges délicats, évoluant vers des ciels orageux, chargés en électricité, mais aussi en électronique discrète, paysage de tempête progressive de distorsions balayé par une trompette angoissée, apaisée sur la fin, en mode free jazz enfin serein.
Décidément, le post-rock n’est pas mort en 2025, année marquée par les nouveaux efforts de Mogwai ou encore Tortoise, mais aussi par son renouveau inattendu (avec par exemples les Britanniques de Caroline). Ce territoire, c’est aussi celui d’un de nos plus brillants combos, Oiseaux-Tempête, dont on retrouve ici une des chevilles ouvrières, Frédéric D. Oberland, sur Miroirs, quatrième track, sur laquelle nous reviendrons. Auparavant, il fallait en passer une inattendue sucrerie, dans l’univers de l’Angevin, It’s The Leaving That’ll Kill You, d’à peine plus de 6 minutes, trip folk dense musicalement porté par la trompette de Fournier, de plus en plus noisy, et la contrebasse de son complice Jean-Michel Audoire. Un morceau comme égayé par la voix de David Ivar aka Herman Dune, fidèle parmi les fidèles (dont Fournier est le tour manager), qui donne sa chaleur naturelle et quasi pop au refrain, et, partant, à la chanson, classique instantané de cette fin 2025 ! New York Belle Île, sabir géographique, rallie ensuite deux géographies distinctes, néanmoins chères au cœur de l’auteur de 100% Black Puzzle, dans une chanson de transition courte (3 minutes), là encore structurée par le jeu de la trompette onirique, en canon de sonorités plus noisy (drones et distorsions), de percussions angoissées, composant un nouveau paysage perturbé, sombre et rayonnant, tel une version viciée de la sonnerie aux morts de l’armée américaine, hommage perturbé et méditatif aux disparus. Des chansons de transition de cette trempe, il n’y a pas sur tous les albums : chanson de transition de l’année !
Miroirs, avec son titre à la Tarkovsky, et son membre d’Oiseaux-Tempête au générique, s’ouvre sur des clochettes inattendues, un drone, composant une ouverture en majesté pour les cuivres, la trompette et le saxophone se frayant un passage progressif dans ce canyon des rêves enterrés et des espoirs noircis, bande-son d’un ailleurs décidément américain, ou de nos banlieues pas chic, au choix. C’est « le » morceau de l’album, près de 12 minutes, monument, astre noir, furieusement strident et mélodique à la fois, post rock et free jazz, noisy et orientalisant sur les bords, se drapant dans une électronique seyante à deux tiers du chemin, direction un chaos expressif bien supérieur à celui que les autres valeurs emblématiques du post-rock citées plus haut, également quinquagénaires, produisent aujourd’hui. Miroirs frappe par sa rigueur et sa densité de cauchemar éveillé, bloc noir et noisy, digne en effet des brillants Oiseaux-Tempête, le groupe que, dans un monde idéal, le monde devrait nous envier.
Ce monde idéal n’existe pas, alors Arnaud Fournier lui tend ce miroir déformé, où Hint s’est reformé définitivement : Shiny Rebirth, avec son acolyte Hervé Thomas, première création conjointe depuis longtemps, conclut l’album en majesté, plage de dix minutes carrément ambient puis noisy, façon The Diamond Sea de Sonic Youth sans la partie mélodique. Un orage avec juste les éclairs, et sans la pluie qui tempère la colère du ciel. Au passage, Shiny Rebirth rappelle le rôle matriciel du groupe new yorkais, « elephant in the room » du post rock, depuis plus de trente ans, et bien après l’établissement de son certificat de décès. C’est aussi une chanson dont le titre sonne comme étrangement programmatique, dans un album au titre en clin d’œil à « la « formation de Fournier, Hint.
La reformation est-elle l’avenir du rock, même des formations de post-rock noisy et brumeux plus confidentielles ? L’avenir nous le dira. Une certitude dans l’immédiat : Arnaud Fournier ne s’est pas épargné et ne nous a pas épargnés non plus, et son agenda 2026 restera quoi qu’il en soit chargé. On est repus, et heureux pour lui comme pour nous. N’en déplaise à Cricri Morançais.
![]()
Jérôme Barbarossa
Arnaud Fournier – 100% Black Puzzle
Label : Ici d’ailleurs
Date de sortie : 17 octobre 2025
