Sous les dehors d’un récit « républicain » classique, le premier long métrage de Louise Hémon glisse vers une fable magnétique où la nature, le désir et les angles morts de l’Histoire reprennent leurs droits : aussi envoûtant qu’insaisissable.

Alors que le cinéma des territoires est devenu un genre en soi depuis quelques années en France, porté par la jeune génération avide de mettre en image sa terre et sa culture, le premier long métrage de fiction de Louise Hémon propose également un voyage dans le temps. Dans ces premiers jours du XXème siècle, l’arrivée d’une institutrice sur les hauteurs reculées de la montagne a tout du traditionnel récit républicain, où l’Etat prend soin de civiliser un ordre ancien par l’instruction, l’hygiène et la langue.
La dimension naturaliste domine dans la première partie, et donne à voir un monde sur le point de s’estomper, riche de traditions, d’un folklore et de pratiques ancestrales qui fascinent, voire effraient la jeune fonctionnaire sûre de sa mission. La superbe photo retranscrit avec puissance une vie rythmée par la lumière naturelle ou le foyer reclus dans des clair-obscur, dans une approche picturale qui rappelle souvent L’Arbre aux sabots, véritable référence en la matière.
Mais le récit ne se cantonne évidemment pas à cette lecture officielle de l’Histoire, et va investir, dans ses interstices, les détours d’un parcours initiatique bien plus tortueux. La mission éducatrice n’est pas exempte de violence, et se fait en parallèle de ce regard sur l’ailleurs de la carte, cette Algérie elle aussi colonisée par l’Etat français. Aimée, trop sûre d’elle, doit laisser la nature imposer sa vibration pour écouter progressivement d’autres évidences s’imposer à elle : la présence des autres, le chant de son désir, les gouffres obscurs qui creusent le réel, les sommets invisibles qui jalonnent ses fantasmes. Le récit, emprunt de réalisme magique, prend alors des voies de traverses où Galatea Bellugi exploite parfaitement son magnétisme, au fil d’échanges taiseux qui dévoient la parole récitée des leçons théoriques.
La nature, hospitalière et vengeresse, débordante de vie et pourvoyeuse de mort, sublime et effrayante, devient le miroir de ces êtres qui s’attirent et se découvrent, fusionnent et disparaissent. La fable vénéneuse se gardera bien de résoudre tout ses mystères, parce que certaines de ses cavités ne sont jamais exposées à la lumière. L’Engloutie, dans son chant des profondeurs, dévoilera cependant des mélodies hypnotiques sur l’étendue de ces territoires trop vastes pour que l’homme puisse prétendre les conquérir.
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Sergent Pepper
