Dans cette évocation du 70 bis rue Notre-Dame-des-Champs, Parick Modiano se souvient de tous les artistes qui, de 1850 à 2023, ont fréquenté cette adresse ou y ont vécu. Un voyage poétique dans le passé qu’accompagnent les archives et photographies retrouvées par Christian Mazzalai.

« Aujourd’hui il semble que l’une des portes du 70 bis où il est écrit sur une petite plaque d’émail « Entrée des artistes » n’a pas été ouverte depuis longtemps.
Où sont les artistes ?
On peut découvrir, en 2024, sous les feuillages, d’étranges statues, des bustes, et des inscriptions sur des pierres effritées , qui sont là, sans doute, depuis l’époque lointaine de la Boîte à Thé et du singe Jacques.
Mais pour combien de temps encore ? »
Ils forment un curieux cortège, nous dit Patrick Modiano, ceux et celles qui, depuis le Second Empire, ont passé le portail du 70 bis de la rue Notre-Dame-des-Champs, jadis appelée « le chemin herbu ». Parmi eux, Jacques, un singe en costume et cravate blanche…
Cette histoire qui commence au début des années 1850, Modiano la raconte dans ce bel ouvrage qu’il a pu écrire grâce aux archives et photographies retrouvées par le musicien Christian Mazzalai – le fondateur du groupe pop-rock Phoenix. Ce n’est pas un roman mais une évocation qui fait revivre une adresse mythique désignée par un simple numéro de rue – le 70 bis. Autour de « la Boîte à thé », fondée par un certain Émile Toulmouche pour être un lieu de rencontres et de fêtes pour artistes et écrivains, « interdit au public payant », se regroupaient des ateliers occupés par de jeunes peintres. Dans celui que Jean-Léon Gérôme partageait avec le singe Jacques, se sont succédés de jeunes talents d’alors tels que Monet, Bazille, Renoir, Sisley… Ce sera le début d’une effervescence créatrice et joyeuse alimentée par une foule d’artistes, habitants ou visiteurs, devenus illustres ou restés inconnus, qui, d’Amérique, du Japon ou d’ailleurs, avaient fait le voyage pour tenter leur chance à Paris.
Rodin, Camille Claudel, Stevenson, Ezra Pound, Brassaï, Henri Michaux et bien d’autres fréquentèrent le 70 bis. Des femmes peintres comme Maria Latini purent y manifester leur talent à une époque où leur liberté artistique – entre autres – était souvent bridée. Il n’y eut pas que des artistes puisque , parmi les habitués du lieu, se trouvait à un certain moment Gurdjieff, l’homme de la » Quatrième Voie ». Modiano les fait revivre dans des chapitres courts, riches en anecdotes, qui suscitent notre curiosité et notre imaginaire. Ce sont autant de brefs regards qui, au fil du temps, de la fin du XIXe siècle jusqu’à 2023 – date de la mort des derniers artistes résidents, Hélène et Claude Garache – suivent l’évolution de cette bohème pittoresque qui était celle du 70 bis mais aussi de tout un quartier… Accompagnée de photographies et de coupures de presse, cette enquête poétique et nostalgique à la recherche d’un Montparnasse disparu vient pour notre plus grand plaisir enrichir la très modianesque démarche du « refus de voir les gens et les choses disparaître sans laisser de trace ».
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Anne Randon
