Reviens-moi

reviensmoi.jpgAprès le légèrement mièvre »Orgueil et préjugés » Joe Wright revient en pleine forme en adaptant un roman de Ian McEwan, »Atonement » (2001).
Derrière sa (grande) façade romantique et élancée, ce »REVIENS-MOI » (traduction française on ne peut plus simpliste), ne joue pas la carte de l’eau de rose, bien au contraire. C’est bel et bien dans un élan tragique que le film plonge, décryptant dans la marge de gauche la bourgeoisie anglaise de l’entre deux guerres, et dans celle de droite, le carnage humain de la seconde guerre mondiale (jamais montré mais reflété dans l’inspiration mélancolique des comédiens et des personnages souffrants d’amour). Dans ces grandes lignes, il s’agit du combat silencieux et littéraire d’un amour passionné.

Avec une vraie matière scénaristique et une incroyable envergure, Joe Wright réussit le plus difficile : faire vivre des personnages archétypaux dans un décor qui s’est mille fois prêté à  l’expérience du cinéma, tout en entamant un excellent travail d’adaptation. Son film évite toute linéarité grâce à  un système narratif en miroirs dans lequel trône une jeune fille coupable de l’incommunicabilité entre les deux amoureux. Cette erreur humaine et l’expiation de son ‘péché’ par la solitude et la tristesse, est reconnue en trois temps (avant, pendant et après la guerre) ; autrement dit, le film se divise en trois parties, trois moments de vie d’une grande clarté et d’une grande cohérence dans la mise en scène. Dommage alors que la première patine dans la scolarité, qu’elle peine à  s’ouvrir par manque de souffle ; les trop rares alternances intérieur/extérieur bloquent le procédé esthétique, et le film sombre dans la reconstitution sans magie d’une époque ravissante. On regarde sans déplaisir, mais tout est trop classique, même la photo, pour que la sauce prenne.

Mais, dès la deuxième partie (la meilleure) le film s’envole dans de grands espaces, filmés avec la largeur qu’il faut, laissant filtrer les gris rayons de soleil dans de splendides plans fixes. Jamais la violence n’y est filmée, et seule le manque physique des personnages peut la remplacer : c’est avec une tristesse violente mais sourde que l’un songe à  l’autre, le regard d’une fixité simple qui s’infuse d’une larme grise comme le ciel. Et ici, à  travers la reconstitution, la magie du manque ressort intacte et épurée.

Un acte bouleversant donc, et qui dit, à  travers la douleur physique, la douleur intérieure, renvoyant l’intime d’une passion à  l’universel d’une guerre. Très marquant, d’autant plus qu’un plan-séquence extrêmement technique vient fluidifier le geste absurde d’une guerre sans nom ; en 5 minutes, le mouvement prend l’âme des soldats, les remets à  leur place, sacralise les visages innocents et dévide le chagrin d’un temps heureusement révolu. Une sorte de grande mosaîque à  l’incolorité châtoyante, d’où émanent, discrètement, des cris plaintifs, des chevaux que l’on tue, des morts que l’on oublie. Une précision esthétique absolument admirable, qui amène la fin du plan-séquence dans une salle de cinéma en temps de guerre, autre magnifique scène rappelant justement le rapport de l’homme à  l’image. Un signal que l’on retrouve plus tard dans le film, lors d’une très courte troisième partie qui s’ouvre sur une succession de télévisions ; il s’agit donc de parler de la médiatisation, puisque la jeune fille qui gâcha un amour, maintenant vieille romancière touchante, adresse avec pudeur à  une caméra qui l’est beaucoup moins, le récit de corps impatients – de se retrouver, de se frôler, de s’enlacer et de fusionner. Il n’y a plus que la distance du temps qui nous fait dire que tout cela n’est plus possible pour eux, ces humains injustement fauchés par la violence d’un monde en guerre. On regrette alors que cette dernière partie soit si brève, même si son but est largement atteint.

Au final, et grâce à  la présence de la plus sensuelle des actrices, Keira Knightley, sans qui le film ne serait probablement rien, et de l’excellent James McAvoy, »REVIENS-MOI » est une grande fresque maîtrisée, pas si classique que ça, juste belle et émouvante comme une lettre d’amour révolu que l’on relirait un jour de pluie.

Jean-Baptiste Doulcet

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Reviens-moi
Titre original : Atonement
Film britannique de Joe Wright
Genre : Drame
Durée : 2h03
Avec Keira Knightley, James McAvoy, Saoirse Ronan…
Date de sortie : 09 Janvier 2008

La bande annonce :

3 thoughts on “Reviens-moi

  1. Je pense que le film reste très académique, sinon apprêté, dans son dispositif de mise en scène et ne parvient pas totalement à restituer l’esprit du roman de Ian McEwan, qui faisait de Briony un personnage complexe et torturé, dans les affres de l’envie – sans doute décuplée par son âge et son incompréhension latente du monde des adultes.
    Comme toi, je trouve que le film gagne en intensité en quittant le décor étriqué et conventionnel du manoir. Le traitement des horreurs et de la barbarie de la guerre joue de l’elliptique et du lyrique, deux dimensions pas forcément incompatibles.
    Enfin, grâce à la composition de Vanessa Redgrave, il finit par questionner le poids de la création littéraire, donc de la fiction et des mots, dépassant largement le cadre particulier dans lequel il s’inscrivait.
    Enfin, je reste persuadé – mais c’est un lieu commun éculé – que la lecture d’Expiation est nettement plus jouissive que la vision de Reviens-moi.

    Patrick Braganti

  2. Je pense que le film reste très académique, sinon apprêté, dans son dispositif de mise en scène et ne parvient pas totalement à restituer l’esprit du roman de Ian McEwan, qui faisait de Briony un personnage complexe et torturé, dans les affres de l’envie – sans doute décuplée par son âge et son incompréhension latente du monde des adultes.
    Comme toi, je trouve que le film gagne en intensité en quittant le décor étriqué et conventionnel du manoir. Le traitement des horreurs et de la barbarie de la guerre joue de l’elliptique et du lyrique, deux dimensions pas forcément incompatibles.
    Enfin, grâce à la composition de Vanessa Redgrave, il finit par questionner le poids de la création littéraire, donc de la fiction et des mots, dépassant largement le cadre particulier dans lequel il s’inscrivait.
    Enfin, je reste persuadé – mais c’est un lieu commun éculé – que la lecture d’Expiation est nettement plus jouissive que la vision de Reviens-moi.

    Patrick Braganti

  3. Je pense que le film reste très académique, sinon apprêté, dans son dispositif de mise en scène et ne parvient pas totalement à restituer l’esprit du roman de Ian McEwan, qui faisait de Briony un personnage complexe et torturé, dans les affres de l’envie – sans doute décuplée par son âge et son incompréhension latente du monde des adultes.
    Comme toi, je trouve que le film gagne en intensité en quittant le décor étriqué et conventionnel du manoir. Le traitement des horreurs et de la barbarie de la guerre joue de l’elliptique et du lyrique, deux dimensions pas forcément incompatibles.
    Enfin, grâce à la composition de Vanessa Redgrave, il finit par questionner le poids de la création littéraire, donc de la fiction et des mots, dépassant largement le cadre particulier dans lequel il s’inscrivait.
    Enfin, je reste persuadé – mais c’est un lieu commun éculé – que la lecture d’Expiation est nettement plus jouissive que la vision de Reviens-moi.

    Patrick Braganti

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