Les Larmes de Madame Wang

aff_film.jpgAlors que la Chine est sous les feux de l’actualité, il n’est pas inintéressant de d’abord regarder Les Larmes de Madame Wang pour ce qu’il nous dit, à  travers le parcours chaotique de son personnage principal, de l’état actuel du pays, bien loin d’une modernisation à  tout crin et des quartiers ultra-modernes des grandes métropoles. Un pays où une femme, artiste au chômage (l’opéra pour lequel elle travaillait a été transformé en gymnase), est amenée à  vendre à  Pékin des DVD sous le manteau pour ramener au foyer de quoi éponger les dettes d’un mari piètre joueur de mah-jong. A la suite d’une partie qui tourne mal, celui-ci est emprisonné. Madame Wang retourne à  Guizhou, sa ville natale, encombrée d’un petite fille de trois ans qu’un couple fugueur lui a abandonné comme couverture de ses trafics.

Elle y retrouve Youming, ami de son mari, vendeur de couronnes funéraires dont elle devient la maîtresse, puis l’associée d’un curieux commerce : la location de ses services en tant que pleureuse professionnelle pour les enterrements locaux. Son ancienne carrière de chanteuse la prédispose à  l’exercice et elle connaît bientôt un succès grandissant.
Cette Madame Wang est un sacré phénomène dont l’énergie et la pugnacité semblent sans faille. Pas question pour elle de s’apitoyer, ni sur son sort, ni sur celui de son bon à  rien d’époux, ni enfin sur celui de la gamine qu’elle trimballe et secoue comme un vulgaire baluchon, éprouvant peu de scrupules à  la placer dans une famille d’accueil. Madame Wang donne l’impression d’un perpétuel mouvement, comme si ne plus avancer signifiait l’échec et la déchéance. Le film retranscrit parfaitement ce work in progress en faisant glisser de manière subtile et presque imperceptible sa narration dans le temps, chaque nouvelle étape renvoyant dans l’oubli la précédente.

Dans un contexte à  priori lourd, sinon macabre (les galères de Madame Wang et sa drôle d’activité), Liu Bingjian, qui tourna en 2002 dans la clandestinité sans l’autorisation nécessaire, réussit à  produire un film souvent décapant et grinçant, réservant quelques moments comiques, comme celui où Madame Wang se précipite pleurer sur un homme…endormi.
Mine de rien, Les Larmes de Madame Wang dézingue pas mal le bel ordonnancement de la société chinoise, infestée à  son tour par l’argent-roi. La pleureuse exerce sans états d’âme un métier par définition hypocrite et elle fait vaciller les certitudes du directeur de la prison, faisant quelques instants auparavant la promotion de l’intégrité.

Plein de vivacité et imprégné d’un esprit subversif, Les Larmes de Madame Wang – titre ô combien fassbindérien – ne se cantonne pas à  sa vision caustique et irrévérencieuse. De la manière la moins attendue, Madame Wang finit par jeter le masque. Ce qui achève de nous séduire.

Patrick Braganti

3_5.gif

Les Larmes de Madame Wang (Titre original : Ku qi de nu ren)
Film chinois de Liu Bingjian
Genre : Drame
Durée : 1h30
Sortie : 26 Mars 2008
Avec Liao Qin, Xingkun Wei, Jiayne Zhu