Un conte de Noël

Avis divergents au sein de l’équipe cinéma pour le dernier Desplechin

aff film_16.jpgPeut-être Sean Penn et ses collègues ont-ils eu toutes les meilleures raisons pour ne pas décerner de prix au dernier film d’Arnaud Desplechin – il est bien sûr trop tôt pour préjuger de la qualité d’un palmarès dont nous découvrirons les couronnés dans les semaines à  venir. Mais les deux arguments majeurs qui ont déconsidéré Un conte de Noël : son discours très franco-français et son extrême complexité ne laissent pas de surprendre.

En effet, nul ne nous fera croire que le thème de la famille ne puisse pas éveiller le moindre écho chez n’importe lequel des jurés cannois et nul n’oserait penser que ces derniers triés sur le volet international des professionels de la profession (sic) n’aient pas les dispositions requises à  appréhender toute oeuvre, fût-elle la moins accessible.

Ce que n’est assurément pas le dernier opus du réalisateur de Rois et reine. On ira même jusqu’à  affirmer que Desplechin livre ici son film le plus facile, tant dans son sujet que dans sa construction. Une apparente évidence d’approche qu’il serait trompeur de réduire en oblitérant les nombreuses ramifications dont le film est émaillé. L’unité de lieu – une maison bourgeoise à  Roubaix, ville où le cinéaste est né – et l’unité de temps – quelques jours autour de la fête de Noël – aident en toute logique à  aborder le film. Atteinte d’un cancer qui nécessite une greffe de moelle osseuse, Junon souhaite réunir ses trois enfants Elisabeth, Henri et Ivan, ses petits-enfants et son neveu Simon pour tenter de ressouder les liens passablement distendus de la famille. Peut-être aussi parce qu’elle pense que ce sera là  l’ultime occasion de tous les voir. La famille Vuillard est somme toute assez extraordinaire : en dépit de leur aspiration à  la banalité, ses membres détonnent : tous savent par exemple jouer d’un instrument de musique et révélent des personnalités riches. Un parfait terreau pour faire naître conflits et animosités.

Sur le clan éparpillé plane le fantôme omniprésent de Joseph, premier enfant de Junon et de son mari Abel, mort à  l’âge de sept ans faute d’avoir trouvé un donneur compatible qui eût pu le sauver. C’est sans doute parce qu’il revint à  Henri de remplacer le petit garçon défunt que celui-ci mena une vie dissolue, flirtant avec la faillite et la misère, marquée par le décès de Madeleine juste épousée et le bannissement décrété par sa soeur aînée Elisabeth qu’elle imposa du reste à  toute la famille. Dont Ivan, le benjamin, adolescent difficile, rentré depuis dans le rang grâce à  sa femme Sylvia et leurs deux enfants.

Malgré la maladie qui couve, les tensions qui sourdent, il n’est ici nullement question de s’apitoyer ou de manier la langue de bois. Le cancer de Junon n’est pas un sujet tabou, il est au contraire disséqué et passé au crible des probabilités d’évolution et de compatibilité des différents membres de la famille. La dimension scientifique est inscrite depuis le début dans l’oeuvre de Desplechin dans ce qu’elle renferme de potentiel fictionnel. Ici elle est curieusement présente dans les plans sur les plaquettes de sang – presque des tableaux de Pollock – et dans la scène désopilante de tortueux raisonnements mathématiques. La vision de la famille est tout sauf angélique : Junon – nom qui incarne pourtant la déesse de la féminité et du mariage – n’a rien d’une mère très aimante : à  Henri, le fils honni, elle dit ne l’avoir jamais aimé – et d’ailleurs la réciproque semble vraie. Donc pas de faux-semblants ni d’hypocrisie chez les Vuillard, mais au contraire des réglements de comptes qui fusent de manière très physique.

Influencé par les maîtres Allen et Bergman, Un conte de Noël épouse en effet le rythme (bande-son jazz entre autres) et les dialogues percutants du réalisateur de Manhattan et traque avec subtilité les déchirements et les plaies de la famille à  l’égal du cinéaste suédois. Alors que le cinéma de Desplechin paraissait jusqu’alors plus compartimenté, ce nouveau film parvient à  agréger dans un même plan rires et larmes. Comme les guirlandes sur le sapin, c’est un film qui scintille et éblouît, grâce bien sûr au talent de la troupe que dirige le réalisateur avec maestria et un plaisir communicatif. L’attention portée aux personnages qui réussit à  n’en privilégier aucun irradie ce superbe film dont ni la longueur ni la densité ni le contexte lourd et cruel n’arrivent à  diminuer l’énorme bonheur ressenti à  le voir. Un conte de Noël est un plat riche aux nuances délicates, pas du tout indigeste.
L’autodidacte Desplechin se défait petit à  petit de ses oripeaux d’artiste intello en révélant une connaissance fine des hommes, ceux-là  même qui considèrent leur vie comme un jeu où le gain et la perte finissent par se côtoyer. Maîtrisé et apaisé, Un conte de Noël est aussi la somme de tous les films précédents de Desplechin et marque sans doute la fin d’une première étape dans son oeuvre. Autant dire que l’on attend la suite avec impatience et gourmandise.

Patrick Braganti

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Arnaud Desplechin, son nombrilisme légendaire et ses acteurs reviennent pour une énième fable sur la vie, la mort, la transmission, la maladie, bref, toutes ces choses qui font que, dans le cinéma français, on s’ennuie profondément. Du moins, le fait de représenter par on ne sait quelle raison Desplechin comme le seul cinéaste auteur populaire contemporain français capable risque fort de plomber le cinéma de style que nous sommes pourtant en matière de produire aujourd’hui (voir Rohmer, Doillon, Garrel, même s’ils n’appartiennent pas à  la même génération, et du nouveau langage Philippe Lioret ou Christophe Honoré).

Un conte de Noël, avec sa construction croisée, emmêlée, faussement compliquée, et ses élucubrations philosophiques juives soutenues par quelques citations freudiennes, s’étale avec bonheur comme une thèse en forme de fresque, car tout de même, le film dure 2h30 – encore plus de temps de perdu donc. Il y a dans l’idée du réalisateur, un essai de psychanalyse pour se recentrer soi-même, puisque l’on aura compris que le film fait largement référence à  lui-même, mais de manière totalement diffuse, de façon à  ce que tout le monde puisse piocher un peu de ce qui l’intéresse quand cela le concerne. Mais ce conte, en plus de ne pas en être un, n’est rien de plus que ce nombril langoureusement caressé, ce divan de velours où il est permis de nous allonger, au mieux un amas de clichés auteuristes et populaires à  la fois, qui renoue avec un semblant de cinéma poétique et amer, dépourvu d’ironie alors qu’il croit en être bourré, et surtout malmené par une mise en scène éléphantesque et très, très peu rythmique, tout comme le scénario qu’elle tente d’imager dans une esthétique affreuse de série télévisée. Croyant jouer des bons mots de la langue française, ce cinéma qui jouit de lui-même quand sort de la bouche de l’un de ses comédiens le mot métaphore , se croyant au-dessus de la moyenne du cinéma français parce qu’il y a un aspect vaguement littéraire (les noms des personnages sont décalés, alors tout de suite, ça fait effet), et surtout parce que l’on cite Kafka, les cancers et la circoncision, ce cinéma, donc, n’est qu’une épave sans âme, un radeau médusé alignant les références mal digérées sur un ton infiniment agaçant, à  mi-chemin entre la possession de la plénitude artistique (ainsi l’on aime les gros plans sur les livres, les tableaux, et la musique est diversifiée comme il se doit pour se dire que l’on brasse encore et encore toute une éternité culturelle) et la comédie mélo-dramatique aux allusions métaphoriques impossibles à  avaler.

Un conte de Noël est l’incarnation exacte, chloroformée, gélatineuse, de l’ambition du cinéma d’auteur français qui, pire que de faire dans le minimalisme abstrait, se contente d’en dire beaucoup en faisant beaucoup, comme un acquis de bonne conscience face à  sa propre culture. C’est déplorable, et si seulement, de cette masse inanimée et niaise qui se brode des contours de diamants, il y avait la magie d’un conte, ou au pire celui bon-enfant d’un Noël, alors ce manège hivernal aurait pris forme. Mais les problèmes familiaux et personnels du réalisateur n’intéressent personne, et si certains seront ravis de voir que, comme dans le film, leur oncle est un hystérique soûlard (preuve d’une certaine forme de réalisme derrière les effets de style, et citons au passage l’excellent Mathieu Amalric), ou alors que ce Noël rappelle fortement celui de 1995, passé avec papa et maman qui avait fini avec du foie gras dans la figure, une globalité sera d’accord pour dire que l’interêt de ce pseudo-bal-tragico-farco-desespéré est d’un degré zéro. Quant à  l’ennui qu’il provoque, il n’a d’égal que le dégoût le plus total ; presque incestueux dans son rapport entre personnages, cette pornographie de la famille – il convient d’appeler ça comme cela – est d’un glauque innommable. Que Desplechin nous fasse partager ses problèmes en est un à  lui seul justement, et qu’il tente d’apporter des réponses à  ses questions dont tout le monde se fout – hormis sa famille, ose-t-on imaginer – , en est un autre. Surtout quand on ne sait pas y répondre.

Jean-Baptiste Doulcet

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Un conte pour Noël
Film français d’Arnaud Desplechin
Genre : Comédie dramatique
Durée : 2h30
Sortie : 21 Mai 2008
Avec Catherine Deneuve, Mathieu Amalric, Jean-Paul Roussillon, Anne Consigny, Melvil Poupaud, Chiara Mastroianni, Emmanuelle Devos, Laurent Capelluto

La bande-annonce