La guerre d’Alan t.3, d’Emmanuel Guilbert

guerre_alan3.jpgEmmanuel Guibert a l’art de servir par un dessin quasi photographique des récits relatant des expériences vécues.
Sa précédente trilogie,  » Le photographe  » tenait le pari d’alterner sans heurt pour le lecteur les scènes photographiques et les scènes dessinées. Le procédé était tellement abouti, qu’on pouvait se demander quelle tournure prendrait le travail du dessinateur après une telle réussite.
Or ce nouveau travail, c’est  » La guerre d’Alan  » dont le troisième tome est sorti en mars dernier dans la collection  » Ciboulette  » de l’Association. Guibert y raconte en bandes dessinées les souvenirs d’Alan Ingram Cope, jeune soldat américain basé en Europe à  la fin de la seconde guerre mondiale. Dans cette nouvelle série, plus de narration photographique, même si quelques photos sont reproduites à  la fin de l’ouvrage, en guise de témoignage. Le dessin raconte par ses propres moyens. Il n’en reste pas moins que la manière de Guibert, par une mimésis qui lui est propre, demeure quasi photographique : grâce à  une documentation qu’on imagine extrêmement minutieuse, il parvient à  reproduire dans des tonalités sépia les lieux exacts où se sont déroulés les souvenirs d’Alan I. Cope.
Il faut voir ces plans tout en pudeur où l’action, relatée hors champ, laisse place à  l’atmosphère qui lui sert de cadre. Un chemin en forêt, une voiture des années cinquante, un angle de bâtiment nous font toucher toute la densité du vécu du narrateur. C.’est dans cette modeste chambre-là , ou dans cette forêt-ci que se sont déroulés les événements de la vie de Cope. Ce qui est émouvant, c’est que, grâce au dessin de Guibert, nous avons sous les yeux des ambiances qui n’existeront jamais plus, et dont Alan Cope était peut-être jusque là  seul dépositaire.

Mais n’est-ce pas précisément l’impasse dans laquelle la virtuosité graphique de Guibert risque de s’égarer ? Un tel réalisme dans la reconstitution des ambiances, doublé de lavis sépia, nous ferait sentir la nostalgie de n’importe quel récit de souvenirs du milieu du vingtième siècle, comme n’importe quelle carte postale défraîchie de l’époque. Cette impression de carte postale, jamais  » La guerre d’Alan  » ne parvient à  la dissiper entièrement.
Peut-être Guibert a-t-il tout simplement trop formalisé les caractéristiques de son style, au point d’en faire une recette ? Ou peut-être est-ce une relative défaillance dramatique du récit de Cope ? Même si on laisse de côté la question de savoir si la relation des souvenirs d’une vie suffit à  créer un récit, cette nostalgie nous paraît un peu trop formelle pour être sincère. A l’opposé par exemple de celle bien plus subtile que distille  » A la recherche de Peter Pan  » de Cosey, avec des moyens graphiques un peu plus modestes et des maladresses narratives qu’on ne trouve pas chez Guibert.

Reste cette manière unique de faire de la bande dessinée qu’a découverte Guibert. S.’il n’a peut-être pas trouvé ici le récit qui lui permet de faire oublier  » Le photographe  »  » La guerre d’Alan  » demeure une excellente bande dessinée, où l’on voit comment l’image dessinée, peut-être plus encore que l’image littéraire, peut nous faire palper la densité d’un vécu.

Vincent Jung

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La Guerre d’Alan t.3
D’après les souvenirs d’Alan Ingram Cope
scénario & Dessin : Emmanuel Guibert
Editeur : L’Association
Collection Ciboulette
128p. – 16€¬
Parution: Mars 2008

3 thoughts on “La guerre d’Alan t.3, d’Emmanuel Guilbert

  1. La Guerre d’Alan est un pur chef d’oeuvre, graphique et surtout narratif ; extrêmement touchant car « habité » (je cherche en vain une formule qui résumerait mon sentiment…). Je n’y décèle nulle nostalgie mais la voix à la fois simple, authentique et complexe (ce qui n’est pas si fréquent dans la bande dessinée) d’un narrateur qui se souvient de sa jeunesse. On est loin des récits de guerre traditionnels : peu de violence ou de faits d’armes mais beaucoup de poésie et d’introspection, de questionnements qui peuvent toucher chacun de nous. Bref nulle impasse dans cette BD, mais le fruit d’un talent hors du commun, celui d’Emmanuel Guibert, auteur d’une autre BD en tout point passionnante « Le Photographe ».
    La Guerre d’Alan représente pour moi ce que la bande dessinée peut offrir de mieux aux lecteurs : un graphisme de très grande qualité et une narration subtile, qui construisent une histoire passionnante. Avec l’envie, une fois la BD refermée, d’en savoir plus sur les personnages croisés, anonymes ou célèbres.
    Je range ces trois tomes aux côtés d’Ernie Pike, autre chef d’oeuvre sur la guerre de 39/45 signée Hugo Pratt.

  2. La Guerre d’Alan est un pur chef d’oeuvre, graphique et surtout narratif ; extrêmement touchant car « habité » (je cherche en vain une formule qui résumerait mon sentiment…). Je n’y décèle nulle nostalgie mais la voix à la fois simple, authentique et complexe (ce qui n’est pas si fréquent dans la bande dessinée) d’un narrateur qui se souvient de sa jeunesse. On est loin des récits de guerre traditionnels : peu de violence ou de faits d’armes mais beaucoup de poésie et d’introspection, de questionnements qui peuvent toucher chacun de nous. Bref nulle impasse dans cette BD, mais le fruit d’un talent hors du commun, celui d’Emmanuel Guibert, auteur d’une autre BD en tout point passionnante « Le Photographe ».
    La Guerre d’Alan représente pour moi ce que la bande dessinée peut offrir de mieux aux lecteurs : un graphisme de très grande qualité et une narration subtile, qui construisent une histoire passionnante. Avec l’envie, une fois la BD refermée, d’en savoir plus sur les personnages croisés, anonymes ou célèbres.
    Je range ces trois tomes aux côtés d’Ernie Pike, autre chef d’oeuvre sur la guerre de 39/45 signée Hugo Pratt.

  3. La Guerre d’Alan est un pur chef d’oeuvre, graphique et surtout narratif ; extrêmement touchant car « habité » (je cherche en vain une formule qui résumerait mon sentiment…). Je n’y décèle nulle nostalgie mais la voix à la fois simple, authentique et complexe (ce qui n’est pas si fréquent dans la bande dessinée) d’un narrateur qui se souvient de sa jeunesse. On est loin des récits de guerre traditionnels : peu de violence ou de faits d’armes mais beaucoup de poésie et d’introspection, de questionnements qui peuvent toucher chacun de nous. Bref nulle impasse dans cette BD, mais le fruit d’un talent hors du commun, celui d’Emmanuel Guibert, auteur d’une autre BD en tout point passionnante « Le Photographe ».
    La Guerre d’Alan représente pour moi ce que la bande dessinée peut offrir de mieux aux lecteurs : un graphisme de très grande qualité et une narration subtile, qui construisent une histoire passionnante. Avec l’envie, une fois la BD refermée, d’en savoir plus sur les personnages croisés, anonymes ou célèbres.
    Je range ces trois tomes aux côtés d’Ernie Pike, autre chef d’oeuvre sur la guerre de 39/45 signée Hugo Pratt.

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