La Nana (la bonne)

affiche_11.jpgC.’est aujourd’hui l’anniversaire de Raquel. Elle a 41 ans et, assise dans la cuisine, solitaire devant son assiette, elle ne montre guère d’empressement à  répondre aux sollicitations de ceux qui la convient à  les rejoindre dans la salle à  manger attenante pour y souffler les bougies du gâteau et y recevoir quelques cadeaux. Raquel est la bonne, la nounou et la femme à  tout faire au service depuis une vingtaine d’années d’une famille aisée de Santiago Du Chili. Une famille jeune, mari occupé au golf et à  confectionner des maquettes de bateaux, femme universitaire et quatre beaux enfants. Le choix d’installer La Nana, deuxième film du chilien Sebástian Silva, au sein d’une famille progressiste et moderne, représentative d’un nouveau type de bourgeoisie, en constitue la première bonne surprise. En ne caricaturant pas les rapports maître-esclave, le réalisateur avec une acuité remarquable dissèque les mécanismes de l’aliénation et les dégâts qu’ils peuvent causer chez une jeune fille provinciale, enfermée dans un espace limité (la grande maison de ses patrons) devenu une prison tant physique que mentale. Surtout mentale, d’ailleurs, comme en attestent les différents événements qui ponctuent la narration qui cultive avec une maîtrise indéniable les effets anxiogènes, plongeant le spectateur dans un état de tension croissante.

Surchargée de travail et exténuée, Raquel mène une vie d’automate rythmée par les nombreuses tâches ménagères. La Nana relève ainsi du documentaire, en montrant frontalement ce que c’est d’être bonne. Lorsque sa patronne décide de lui adjoindre une aide, Raquel voit ses prérogatives menacées et rend la vie impossible à  la jeune péruvienne, puis à  la vieille cuisinière, en charge de la seconder et la soulager. Le film réserve dans ces collaborations abhorrées par Raquel ses plus forts moments de tension, tout en réussissant toujours à  déjouer les drames prévisibles dont le surgissement anéantirait la force du film. l’arrivée de la troisième aide, qui finit par apprivoiser Raquel, permet à  celle-ci de sortir de son silence, d’affronter ses peurs et même d’accepter d’aller passer le prochain Noël avec elle.

S.’il souffre sans doute d’une baisse de régime dans sa dernière partie et offre une résolution insatisfaisante, La Nana nous tient néanmoins en haleine, en nous rivant aux faits et gestes de Raquel (Catalina Saavedra tutoie tout simplement les étoiles). C.’est la troisième aide qui détient le trousseau de clefs capable d’ouvrir l’esprit cadenassé et emmuré de Raquel par ses interrogations de bon sens, : qu’est-ce qu’on vous a fait, que vous est-il arrivé, interpelle-t-elle, déroutée et paniquée, une Raquel prostrée et égarée. En l’espace de quelques mois, l’Amérique du Sud nous donne à  voir deux films radicaux, bénéficiant d’une mise en scène impeccable, auscultant les relations troubles entre maîtres et employés. Le mexicain Enrique Rivero proposait une vision encore plus minimale et extrémiste dans Parque Via, alors que Sebástian Silva sème davantage le doute. Certes, la patronne de Raquel la traite avec respect et attention, mais le rapport de classes existe et se manifeste par des détails significatifs, : le présent minable que reçoit Raquel, la visite de sa petite chambre le jour de sa sortie, la porte qui se referme derrière elle et la renvoie à  sa cuisine. Des relations équivoques que les enfants expriment également, : élevés par cette nounou étrange, ils en sont à  la fois proches tout en lui faisant savoir quelle est sa place.

Tourné en caméra numérique avec de faibles moyens, La Nana installe du coup une proximité qui tend à  l’oppression et au malaise. Toutes les ressources de la maison aux multiples couloirs et portes sont utilisées au mieux pour tenter de dresser le portrait d’une femme aliénée, impuissante à  vivre pour elle-même, dans la quête de modèles qui lui construisent une vie par procuration. La portée universelle de La Nana ne fait pas le moindre doute et son sujet pourrait sans conteste déborder le cadre fixé, en investissant par exemple le monde du travail. La soumission est encore à  l’oeuvre et elle est d’autant plus abjecte qu’elle se développe dans des environnements à  priori ouverts et évolués. La Nana est le magnifique hommage à  une victime désemparée, se battant avec ses moyens dérisoires pour sauvegarder un territoire illusoire, et il n’est pas même évident que lui soit offerte la moindre perspective de salut ou de rédemption. C.’est ce réalisme assumé, mais jamais cynique ni antipathique, qui propulse aussi le film vers les sommets.

Patrick Braganti

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La Nana (la bonne)
Film chilien de Sebastian Silva
Genre : Drame
Durée : 1h35
Sortie : 14 Octobre 2009
Avec Catalina Saavedra, Claudia Celedon, Alejandro Goic,…

La bande-annonce :

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