Nostalgie de la lumière

Nostalgie_de_la_lumière.jpgOn connaît encore aujourd’hui les conditions d’artiste de Patricio Guzman ; cinéaste exilé, à  la frontière entre Cuba, le Chili, Madrid et aujourd’hui Paris, documentariste et analyste sans concession de la mémoire chilienne après les régimes dictatoriaux imposés par Pinochet.

L’importance d’un tel cinéaste, au-delà  de son fabuleux travail d’archéologie et la fascinante lutte de pouvoir qu’il mit en lumière à  l’époque de Salvador Allende (dont il fût le filmeur discret des années politiques jusqu’à  son assassinat moral par le coup d’état Pinochet, conclût en suicide), c’est qu’il est le seul documentariste contant l’Histoire de son pays à  être exporté en Europe.

Dans ce nouveau film, sorte de signature ultime et sophistiquée de ses précédents travaux, il dicte aux traces du passés, aux corps perdus des victimes de la dictature les astres infinis et la lumière futuriste de l’univers »Nostalgie de la lumière » de par son point de vue, touche directement à  une approche métaphysique de la construction et de la déconstruction d’un peuple à  travers le Temps et l’Espace. La métaphore, existante en réalité, est belle : les enfants d’une génération perdue cherchent obstinément des traces de leur passé à  travers les ossements de leurs proches sur le sol du désert d’Atacama. Tandis qu’au même endroit, les astronomes et physiciens lèvent les yeux vers le mystère de la Vie grâce au plus grand observatoire du monde.

Malheureusement il semble que Guzman ait perdu toute l’objectivité de ses films antérieurs pour se focaliser uniquement sur cette métaphore brillante mais vide de sens puisque le contenu du film est inexistant. Le binôme établit entre le sol et le ciel semble être une image forte qui se suffit à  elle-même : de fait »Nostalgie de la lumière » se contente d’enfiler de belles images de galaxies avec celles, plus austères, des victimes errant dans le désert. Le rythme binaire ne marche pas, ne se complète pas : on croirait voir deux films d’un sujet différent, reliés par la force des choses alors que jamais l’un ne reflète l’autre. C’est que Guzman construit son film comme deux chapitres différents, comme un mouvement de caméra de gauche à  droite, alors que l’essence de son film concerne le haut et le bas. De plus, la fragmentation du film en deux immenses parallèles (une symétrie? Où ça?) ne met même pas en valeur un fil commun. Les astronomes commentent leur métier et leur passion, les victimes, elles, parlent d’une douleur, d’une identité. Et alors?

Tout le temps à  la surface de son sujet, comme si le spectateur devait faire le lien tout seul entre la nostalgie de certains et la révolution des autres, Guzman donne l’impression de vouloir imprimer à  son film la douce petite mélodie d’une nostalgie puissante, suffisante pour les maux historiques et identitaires. Les premiers plans du film offrent ce tableau d’une joie perdue, puis s’effondrent immédiatement dans la naîveté du (non)-propos. La vision enfantine de Guzman ne peut coller avec le sérieux et l’ambition politique et métaphysique de son sujet. Malgré de très belles compositions de plans, chose de plus en plus rare dans le style documentaire qui suit l’influence des reportages télévisés américains, Guzman n’insuffle aucun rythme à  sa vision, pire, il ôte à  la confrontation entre les barrières et l’infini, le vécu et le devenir, tout humanisme. On ne doute pas du respect qu’il porte aux multiples objets de son film (car les gens semblent être posés là  pour parler comme de précieux bibelots), mais plutôt de sa capacité à  traduire la vaste profondeur d’un tel projet.

Jean-Baptiste Doulcet

2.gif

Nostalgie de la lumière
Film chilien de Patricio Guzman
Genre : Documentaire
Durée : 1h30min
Date de sortie cinéma : 27 Octobre 2010