Fabrice Gobert, jeune réalisateur de »Simon Werner a disparu », a eu une idée folle : proposer à Sonic Youth de composer la bande originale de son premier film. Et comme le culot paye parfois, voici nos New-Yorkais cultes embarqués dans l’aventure pour un album instrumental 100% Sonic Youth.
Par le passé, Thurston Moore et sa bande avait déjà écrit quelques titres pour »Demon lover » d’Olivier Assayas et même sorti un album intitulé »Made in USA« , composé autour du film du même nom – non pas celui de Godard mais celui réalisé en 1987 par le plus obscur Ken Friedman. Mais avec »Simon Werner a disparu« , c’est autre chose. Pour Fabrice Gobert, , Sonic Youth n’a pas fait les choses à moitié , : un album entier crée spécialement pour le film et collant parfaitement avec les images de cette oeuvre imparfaite mais prometteuse. Le groupe a composé ses instrumentaux en, visionnant les rushes du film pour mieux s’en imprégner et faire une musique totalement en adéquation avec lui. Pour le, modus operandi, cette BO rappellera dans un premier temps , le travail de, Miles Davis improvisant devant , les images projetées d’, « Ascenseur pour l’échafaud » . Dans le cas de, Sonic Youth, , le groupe a repris plus tard ces bouts de musique audibles dans le film et en a tiré de vrais instrumentaux étendus dans leur durée faisant ainsi une création à part entière (qui peut donc s’écouter indépendamment du film lui même).
Tout comme avec Neil Young pour la BO de »The Dead« , lui aussi en osmose avec son film, Sonic Youth s’est nourri du travail préalable du cinéaste mais en retour apporte un relief supplémentaire et un nouveau sous-texte à l’oeuvre de Gobert. On peut même penser que la musique des Américains extériorise le monde intérieur des personnages qui habite »Simon Werner a disparu » , (Jérémie, Alice, Clara, Simon et les autres).
Musicalement, nous sommes évidemment loin de, Miles Davis et même de Neil Young. La BO de »Simon Werner a disparu« est bel et bien du, Sonic Youth 100% pur jus, même si pour l’occasion, se pliant volontiers à l’exercice, le groupe s’est débarrassé du cadre »chanson » qui,, sur leurs albums »normaux » enserre plus ou moins leurs instincts sauvages et crée une forme aux coulures de leurs matières musicales. Pas une voix, pas un début de chant, pas de mélodies pop émergeant derrière les guitares. Rien de tout ça : , Sonic Youth entre de pleins pieds dans ce que l’on nomme communément – et un peu par défaut – du post-rock.
Contrairement au travail en solitaire de Lee Ranaldo effectué pour des pièces de théâtre ou des spectacles de danse, le résultat ne paraît pourtant pas hermétique et , abusivement expérimental , ; pour qui est familier de l’univers post-Velvet-ien du quatuor New-Yorkais, il n’y aura pas de grande surprise sauf de ne pas entendre la voix de Thurston Moore ou de Kim Gordon, sauf peut-être de découvrir parfois le son d’un piano bastringue rare dans le monde de guitares de Sonic Youth. Le disque se termine sur le Thème d’Alice et ses 13′ de tension hypnotique mais il n’y a , – et c’est valable sur toute cette BO – aucun dérapage en vrilles soniques comme le groupe en a parfois l’habitude. Les guitares sont souvent sourdes, agressives et dissonantes (on ne se refait pas) mais Sonic Youth privilégie surtout les ambiances, souvent troubles et mystérieuses, à l’image même de l’histoire du film et de sa construction morcelée et labyrinthique fortement inspirée par »Elephant » de Gus Van Sant (pour un milieu – un lycée – aussi identique). Le groupe réussit à maîtriser en permanence sa musique et les divagations possibles qu’elle génère : il restructure des atmosphères vagabondes un peu informes en tirant au cordeau son propos et ré-injecte sans cesse de la tension au sein de sa musique. Sonic Youth met des décharges électriques , là où d’autres se satisferaient d’un ambiant nébuleux, fusse-t-il parfois séduisant. Il s’agit bien là d’un disque de rock ; , instrumental, non narratif et touchant à l’abstraction certes, mais un album rock tout de même. Et qui plus est un bon !
On pourra penser que »Simon Werner a disparu » est une oeuvre mineure dans la discographie magistrale de Sonic Youth. On a dit et on dira sans doute que ce disque est avant tout réservé aux fans du groupe. Qu’il faut avant tout connaître et apprécier Daydream Nation, Goo ou Dirty pour vraiment aimer cette bande originale, comme il faut avoir d’abord fait du vélo avec des petites roues pour pouvoir ensuite rouler sans »béquilles ». Et si l’on prenait le contre-pied de cet avis ? Et si ce disque était peut-être justement un bon début , pour aborder la musique des New-Yorkais ? , Et si l’on préférait pour une fois la recherche fondamentale à la recherche appliquée ? L’essence même de Sonic Youth et rien que ça : l’exigence sonore, la prise de risque, la violence latente, l’originalité des guitares, les changements d’humeur… C’est sûr, faire du vélo avec des petites roues, c’est plus prudent. Mais sans, le sens du danger n’en est que plus grisant. Et quel sentiment de liberté !
Denis Zorgniotti
Label : Naîve
Date de sortie : 3 mars 2011