La Bella Gente, les gens bien

Dans sa piètre production, tant quantitative que qualitative, le cinéma italien offre encore, de temps à  autre, quelques pépites sur lesquelles il convient de braquer les projecteurs, d’autant plus quand elles sortent dans des circuits limités. Mais ne faisons pas la fine bouche, : La Bella Gente, les gens bien, deuxième long-métrage du réalisateur Ivano de Matteo, n’a pas eu l’honneur d’une sortie dans son pays d’origine, au motif ô combien révélateur de la déliquescence de la société transalpine que le distributeur exigeait en contrepartie de son investissement l’engagement de sa femme et d’une amie. Compromission refusée par Ivano de Matteo, geste contribuant à  (nous) le rendre d’emblée sympathique. Une pathétique péripétie qui entre d’ailleurs en résonance avec le sujet du film, où déterminisme social et appartenance à  une classe dont il est impossible de s’extraire s’entrechoquent, sur fond de bonne conscience et de compassion.

Couple de romains aisés, ouverts intellectuellement, sans doute à  gauche (ici le mot qui les résume le mieux, c’est bien sûr  » bobo « ), Alfredo, architecte, et Susanna, psychologue, s’échappent fréquemment dans leur cossue maison de campagne. La vue d’une prostituée mineure, malmenée par son souteneur, choque Susanna qui, contre l’avis de son mari et des voisins, projette d’héberger de prendre sous son aile protectrice la jeune ukrainienne terrorisée.

La coexistence de deux univers diamétralement opposés est-elle possible, ? À quelles réelles (et enfouies) motivations l’énergique Susanna obéit-elle dans sa démarche en apparence altruiste, ? Moins cynique que son amie Paola, Susanna n’en est-elle pas moins hypocrite, acquérant une espèce de bonne conscience à  jouer la générosité et la grandeur d’âme, ? Autant de questions auxquelles s’attaque Ivano de Matteo, dont les réponses sont déjà  connues. C.’est donc l’évolution de la situation voulue et créée de toutes pièces par Susanna qui intéresse le cinéaste, scrutant l’apparition des fissures prévisibles de l’édifice, des premières failles attestant que le vernis superficiel s’écaille et ne résiste guère longtemps au rappel des convenances et des règles que l’entourage – autrement dit le fameux habitus si cher à  Bourdieu – s’empresse de battre.

Plus les apparences sont trompeuses, plus la désillusion est lourde. Pour la pauvre Nadja, agneau innocent jeté malgré elle au milieu d’une meute de loups déguisés en braves toutous censés la protéger, la chute n’en sera que plus brutale, même si son personnage opaque, auquel le réalisateur s’intéresse au final assez peu, ne révèle rien de son éventuelle incrédulité ou de sa naîveté désarmante. En cela, elle n’est pas si éloignée de Mary, l’amie insupportable et paumée de Tom et Gerri (Another Year de Mike Leigh fin 2010) servant de caution à  leur compassion bon teint. Dans les deux cas, il est à  noter que la menace de l’équilibre de la cellule familiale (et notamment l’interaction du fils) initie le brusque tournant, l’indulgence sentimentale faisant place à  l’irritation et la gêne.

La Bella Gente, les gens bien souffre d’un démarrage un peu lent. Le malaise et la cruauté, mettant à  jour les rancoeurs et les petites mesquineries, tardent à  s’installer, alors que le film s’appesantit un peu trop sur les signes de la vie dolente et privilégiée des Italiens. Mais lorsque la bifurcation, différée mais prévisible, surgit, les ravages ne se font plus attendre, : répudiation et bannissement afin que tout rentre dans l’ordre sans que la parenthèse paraisse laisser la moindre trace. Hormis celle d’un rouge à  lèvres que Nadja, abandonnée lâchement sur un quai de gare, s’applique rageusement, geste marquant le retour à  la case départ.

Parce qu’il prend place dans un décor de rêve, La Bella Gente, les gens bien, drame feutré, en revêt une dimension plus cruelle et plus incisive, où la nature humaine se montre dans toute sa complexité, tissu de contradictions qui font se côtoyer le pire et le meilleur. Et c’est bien la tension croissante, dont on redoute les manifestations, qui permet de la prendre d’autant mieux en compte.

Patrick Braganti

La Bella Gente, les gens bien
Drame italien de Ivano de Matteo
Durée : 1h38
Sortie : 16 Février 2011
Avec Monica Guerritore, Antonio Catania, Victoria Larchenko,…

La bande-annonce :