Elle s’appelle Ruby – Jonathan Dayton & Valerie Faris

Elle s’appelle Ruby avait tout du film casse-gueule : une paire de réalisateurs attendue au tournant, un genre sujet à  clichés et un thème susceptible de tomber dans les poncifs et le discours lourdingue. Et c’est pourtant,  réussi. On appelle ça un bon film.

Le cap du deuxième film est toujours le plus dur à  passer. Que la première oeuvre ait été un insuccès ou… un succès. Auteurs d’une des surprises récentes les plus enthousiasmantes du cinéma américain, Jonathan Dayton et Valérie Faris ont attendu 6 ans pour donner un successeur à  , Little Miss Sunshine, une comédie amusante (ce n’est pas automatique) et, impertinente (cela devient rare) qui a, éclairé l’année 2006. Donner une suite à  ce coup de maître avait de quoi poser des problèmes à  leurs auteurs., Le couple cherchait le bon scénario, celui qui lui donnerait envie de s’y remettre et de ne pas décevoir. C’est là  que Zoé Kazan (également comédienne et Ruby du film) est arrivée un scénario sous le bras, une histoire qui ne pouvait que faire écho au parcours des deux cinéastes et qui en est quelque part l’exagération.

Comme Dayton et Faris, Calvin (Paul Dano) a obtenu un succès,  incroyable. Celui-ci est littéraire avec un premier roman écrit d’un jet à  18 ans : on évoque Salinger, on parle de chef d’oeuvre de la littérature américain, on le compare à  un génie…toute une série de superlatifs qui bloque Calvin pour écrire son deuxième roman. Dix ans que ça dure (et non six) et la source semble tarie. Jusqu’au jour où rêvant sans cesse d’une fille, il décide d’écrire sur elle et sur leur relation virtuelle. Et comme par enchantement (sans justification ni effet spécial pour le matérialiser), Ruby prend corps et vie et se retrouve à  faire tranquillement le petit déjeuner devant un Calvin médusé. Comme dans les films de la paire Spike Jonze/ Charles Kaufmann (surtout Adaptation, autre film sur la panne créatrice et la mise en abime), le film part d’un postulat de départ aussi farfelu que gratuit et s’efforce d’en faire un film qui tient la route. Le thème n’est pas ici vraiment nouveau.

Si l’on prend les choses froidement, Elle s’appelle Ruby n’ est qu’ une nouvelle variation sur le thème de Pygmalion, avec un créateur tombant amoureux de sa créature et devant se résoudre (ou pas),  à  la laisser partir.,  Dayton et Faris inscrivent cette histoire millénaire dans une autre mythologie du cinéma américain, la comédie romantique ou screwball comedy, mettant en scène un couple que tout oppose : Calvin est à  l’image de sa maison cossu, froid, déprimant et franchement sociopathe (ne semblant n’avoir comme amis que son psy et son frère). Ruby est pleine de vie, spontanée et destroy. Il est surtout un vrai homme et elle, une créature fantasmatique devenue vraie femme, un peu comme Pinocchio devenu un vrai garçon. Dans cette attirance des extrêmes et ce genre en voie de saturation (peu de nuances possibles, beaucoup de films), les réalisateurs en proposent une version moins lisse : au mieux de leur relation, nos tourtereaux vont se souler la gueule en matant un film de zombie totalement gore ; ils vont s’éclater bourré en boite, avec vol de culotte,,  au son d’un »ça plane pour moi » totalement »défoulatoire ». Il reste dans cette séquence jubilatoire à  la limite du mauvais goût une part non négligeable du , cinéma indé des origines ; , 20th Century Fox n’a pas encore totalement formaté notre couple de cinéastes.

Vrai film tragi-comique, Elle s’appelle Ruby,  est un film plus réussi sur son versant dramatique que sur son versant comique. Même si on sourit plus qu’on ne rit, il est tout de même porteur de scènes et , de situations amusantes. Comme la séquence d’ immersion de Calvin dans la vie totalement baba cool de sa mère (Annette Bening) et de son beau-père (un,  Antonio Banderas que l’on n’aurait pas imaginé ici). Dans sa volonté de matérialiser le pouvoir que garde Calvin sur sa créature, le scénario a la bonne idée d’utiliser,  une machine à  écrire,, deus ex machina par lequel Calvin peut à  tout moment changer le caractère ou les aptitudes de ce qui reste son personnage.

Cela nous vaut quelques scènes cocasses, cela aboutit surtout à  la scène-clef du film. Il est vrai que rapidement la problématique – grave –  du film s’installe : Calvin aime Ruby et c’est bien normal puisqu’il a rêvé avant d’écrire sur elle. Mais quand sera-t-il de Ruby, une fois vivante et libérée de la trame du livre imaginé par Calvin ? Presque une réflexion sur la comédie romantique, tout les oppose et finalement ils s’aiment à  la fin du film. Oui…mais pour combien de temps ? , Totalement une réflexion sur l’amour, le vrai (pas celui montré dans la guimauve Hollywoodienne) où aimer c’est aussi donner la liberté à  l’autre de choisir, voire de partir. Et là , au comble de son désespoir, l’écrivain choisit de reprendre les rênes avec le pouvoir qu’aurait rêvé d’avoir le Dr Frankenstein. Et là , le créateur devient un dictateur sadique dans une scène à  faire froid dans le dos. On pensait être dans une comédie et on se prend un vrai coup sur la tête dans une scène particulièrement dure voire traumatisante, en proie à  un vrai monstre ordinaire. Là  où, Little Miss Sunshine se terminait par une explosion de joie (avec la scène du spectacle des mini miss), Elle s’appelle Ruby aurait pu se clore sur un violent mal de tête, une gueule de bois synonyme que la fête était bel et bien finie.

« Aurait pu » car finalement Dayton et Faris ou Kazan ou 20th Century Fox choisit une fin plus en accord avec les clichés de la comédie romantique, dans une nouvelle chance et une nouvelle histoire qui commence. Comme dans , Un Jour sans fin, le héros ressort de sa faille temporelle – une nouvelle forme de purgatoire ? – et trouve. Comme dans Peggy Sue s’est mariée,, , il reste à  l’héroîne une trace écrite de son rêve éveillé. On pourra regretter cette fin plus consensuelle ou en apprécier sa légèreté retrouvée. Elle est juste l’expression d’un dilemme habituel du cinéma américain, celui de devoir faire quelques concessions pour pouvoir faire passer quelques idées fortes. Un donnant donnant qui donne un bon film, où le sourire a parfois un goût cruel.

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Elle s’appelle Ruby
Comedie dramatique américaine de Jonathan Dayton et Valerie Faris
Sortie : le 3 Octobre 2012
Durée : 1h43
avec Paul Dano, Zoe Kazan, Chriss Messina, Elliott Gould, Annette Bening, Antonio Banderas, Steve Coogan…