David Bowie – The Next Day

C.’est vrai qu’on n’aurait pas imaginé pouvoir dire à  nouveau, depuis sa disparition complète des radars il y a dix ans pour cause de maladie, cette simple phrase :  » Tu as écouté le nouveau Bowie ? ».

Vrai aussi que l’annonce de son come-back au pays des vivants le 8 janvier, jour de son anniversaire, a légitimement suscité fièvre et espoir : pas tous les jours qu’une légende vivante s’offre le plaisir de réorchestrer avec malice sa propre résurrection. Nul ne l’ignore, 2013 est l’année du retour du Thin White Duke, David Bowie is back.

Preuve de la marque indélébile de l’ex-Ziggy Stardut dans le paysage culturel, l’excitation que provoque cette réapparition inattendue dépasse le simple auditoire des éternels admirateurs de l’icône anglaise – au nombre de votre serviteur – dont la figure fut si souvent déterminante dans la découverte du rock et de la pop, voire dans leur amour de la musique en général.

Une fois savouré le plaisir de retrouver bien en vie celui qui fût l’arlequin le plus flamboyant du rock et synthétisa avec génie dans sa meilleure époque toutes les influences (littéraires, visuelles, musicales) autant qu’il initia en retour d’innombrables courants de la modernité (ambient, cold wave, synth pop, rock gothique, brit pop), qu’en est-il de ce vingt-cinquième opus concocté dans le plus grand secret ?

Hé bien, que notre Dave est toujours là  et qu’il a toujours sa voix. Sur le reste, ne tenez pas compte de la presse qui vous parle de synthèse des grands ouvrages bowiens ou autres arguments brandis par l’équipe de promotion. Si l’on faisait découvrir Bowie à  travers cet album à  un auditeur ignorant tout de lui, celui-ci aurait du mal à  comprendre le culte institué autour de sa personne. Ni crucial, ni très pertinent, »The Next Day » ressemble surtout à un véhicule dans lequel la superstar de 66 ans contemple sa propre influence et semble vouloir prouver à  tout prix sa vitalité retrouvée.

Entouré de la même équipe de fidèles qu’il y a dix ans (Tony Visconti producteur, Gail Ann Dorsey basse, Gerry Leonard et Earl Slick guitares, Zachary Alford batterie), l’idole aux yeux bicolores déroule ce qui se veut pyrotechnie et feux d’artifices. Un opus au son électrique qui tente de suppléer en barouf (daté) l’absence de réelle nécessité de compositions souvent banales, parfois poussives, d’une efficacité sans profondeur (The Next Day, Valentine’s Day) ou indigestes (les accents heavy des boursouflés If You Can See Me ou (You Will) Set The World On Fire, pas si éloignés de la déplorable période Tin Machine).

Si l’on sait depuis sa décennie MTV qu’un Bowie gestionnaire, professionnel et efficace, a souvent remplacé l’artiste brillant et visionnaire, qu’il fut dans la décennie 70, l’homme a pourtant connu, des phases de regain créatif (le brillant doublé expérimental OutsideEarthling, le grave Heathen) capable de le resituer avec talent au centre de l’attention.

Avec ce come-back inespéré, The Next Day aurait pu être l’occasion de livrer une partition plus inédite et inclassable, élaborée en toute liberté. On aurait rêvé qu’il puisse concevoir un opus énigmatique digne de son idole Scott Walker ou s’associe à  nouveau avec l’historique Brian Eno ou un producteur exigeant type Nigel Godrich, ou bien inattendu (Dave Fridmann).

Préférant s’entourer de sa vieille garde de briscards requins qui ne lui refusent rien, un Bowie voulant offrir au public l’image d’un performer en forme orchestre un parcours revisitant sans idées certaines étapes de son parcours (clins d’oeil insistants à  la trilogie berlinoise) mais pour un résultat qui flirte avec l’anodin daté, la faute de goût (ces choeurs envahissants et ces guitares vieillottes) et le coup pour rien. Un choix grand public pour les stades d’autant plus étonnant qu’il ne compte pas le prolonger en scène.

The Next Day ressemblerait vite à  un pétard mouillé qui n’a pas, grand chose à  dire si l’on n’admettait toutefois le plaisir de retrouver le magnétisme de sa voix unique qui réussit à  distiller en de trop rares instants sa séduction, : Where Are We Now?, digne ballade, Love Is Lost, toute en tension, la laconique So She (sur l’édition Deluxe) ou la dramatique Heat qui aurait eu sa place sur Heathen avec ses paroles bien étranges (I tell myself I don’t know who I am and my father ran the prison).

On ne sait toujours pas, nous non plus, qui tu es cher David, et l’on déplore assez cette maigre pêche. Mais vu l’amour qu’on porte à  ton parcours toujours aussi inspirant, surtout aux heures géniales de ta jeunesse, on fermera les yeux sur cette occasion ratée.

Mais, dis, ne recommence pas. On aimerait garder de bons souvenirs. Sans rancune.

Franck Rousselot

David BowieThe Next Day
Label : Iso / Sony Records
Date de sortie : lundi 11 mars 2013

site de David Bowie
facebook

5 thoughts on “David Bowie – The Next Day

  1. Je débarque du site « http://lamusiqueapapa.blogspot.fr » J’ai lu avec plaisir ton billet. irréprochable dans son analyse, alors pourquoi venir commenter pour dire ça?

    Ho, juste pour pousser à ajouter une étoile.

    Quitte à radoter de chronique en blog, je pensais aux critiques du « It’s Only Rock & Roll » des Stones. Aujourd’hui encore le même genre d’argument est servi, comme ici pour Bowie: Une parodie, un pastiche etc…

    Dans les deux cas je me demandais pourquoi je prenais plaisir alors à ces disques (J’ajoute le Bowie, avec le risque de manque de recul) …

    … En partie pour les raisons que tu avances. Une voix qui me touche profondément. Quelques bonnes chansons et un plaisir facile (Alors que Scott Walker…!!??)

    Alors je milite pour une étoile de +, honnête non?

  2. C’est gentil de venir de chez moi :-) Mais là-dessus, je rejoins Franck. Pourtant, je suis client du Bowie des années 70 dont j’aime à peu près tout, mais là, franchement, je sais d’avance que je ne le réécouterai pas. Il y a tellement de bons disques qui sortent chaque semaine…Je ne suis pas le genre à rester scotché coûte que coûte à un artiste. Je crois qu’on doit pouvoir continuer à critiquer les artistes quelle que soit leur carrière. Quoiqu’on en dise, c’est aussi une forme de respect pour ce qu’ils ont déjà accompli.

  3. « Si l’on faisait découvrir Bowie à travers cet album à
    un auditeur ignorant tout de lui, celui-ci aurait du mal à comprendre le culte institué autour de sa personne. Ni crucial, ni très pertinent…  »

    As-tu écouté le dernier Autechre? J’imagine que quelqu’un ni ne connait pas Autechre aura autant de mal à comprendre le culte autour de ces deux personnes… Le dernier Bowie m’a donné envie d’écouter ses précédents disques que je ne connaissais pas… Ce n’est déjà pas si mal… pour un inculte! Oui c’est vrai il a fait mieux mais s’il pouvait encore en faire d’autres comme celui-ci moi je ne m’en plaindrais pas.

  4. Oui, et je ne dis pas le contraire. On peut même trouver ce plaisir immédiat comme douteux pour son avenir.
    A contrario, le bon feeling pour découvrir et donc insister sur une oeuvre magistrale qui refuse à se dévoiler des les premières écoutes est un autre sujet qui effectivement ne concerne pas le dernier Bowie.
    Non, mon intervention était juste là pour militer pour une étoile de +, avec le risque de mal connaitre le rédacteur pour qui trois étoiles supposent peut-être d’autres qualités, mais comme je ne le connais pas encore, je propose ça en aveugle
    ;-)

  5. Déjà merci pour vos commentaires, chose de plus en plus rare ici. Ensuite, estimez-vous heureux : aujourd’hui même, j’ai failli baisser ma note d’un demi-point. Et puis, après réflexion à vous relire et en considération de l’oeuvre passée du Duke et de la place importante qu’elle a occupée dans ma vie, je laisse la note à deux. Mais, raccord avec l’ami Vincent, voilà bien un album que je ne réécouterai pas non plus. Sans rancune (…encore !)

Comments are closed.