Lettres à  Jeanne d’Alain-Fournier & Lettres à  Delphine de Louis Pergaud

jeanne

Yvonne de Quiévremont, qui deviendra l’Yvonne de Galais du Grand Meaulnes n’est pas la seule femme de la (courte) vie d’Alain-Fournier. Jeanne Bruneau inspirera, elle, à  l’auteur, le personnage de Valentine, la fiancée de Frantz. Les lettres que Henri Fournier (son vrai nom) adressera à  cette modeste modiste, au cours de 2 ans de ruptures et de réconciliations, montrent un homme impétueux et jaloux, exalté, qui ressasse ses obsessions et sa haute idée de l’amour. †œJe ne me soucie pas d’une maîtresse, je cherche l’amour. L’amour comme un vertige, comme un sacrifice et comme le dernier mot surtout. La chose après quoi plus rien n’existe. Le départ après avoir mis le feu aux quatre coins du pays.† Un homme qui veut aimer d’un amour †œprofond, violent et presque fou†,qui se retrouverait peut-être aujourd’hui classé dans les †œpervers narcissiques† par les magazines féminins, mais auquel il sera beaucoup pardonné pour avoir enchanté notre adolescence avec son unique roman.

Tout sourit à  Louis Pergaud dans les années qui précèdent l’entrée en guerre. Le petit instituteur, qui a quitté sa Franche-Comté natale, a obtenu le Goncourt avec De Goupil à  Margot, avant de publier son fameux La guerre des Boutons en 1912. Il a épousé une Delphine †œamoureuse, belle et vaillante†, telle que la décrit Françoise Maury, qui signe la préface de ces Lettres à  Delphine. Mobilisé le 2 août, envoyé vers les tranchées de la Meuse, il écrira à  son épouse – sa †œpetite gosse†, sa †œtitine† – tous les jours. C’est une touchante histoire d’amour, qui aide le jeune écrivain à  espérer en des jours meilleurs, avec l’image de la douceur d’un foyer qui l’attendrait à  la fin du cauchemar. Et le coeur se serre quand on sait que Louis et Delphine ne se reverront jamais. Ces lettres constituent aussi un témoignage de tout premier plan sur la vie quotidienne des Poilus. On y voit, au début la conviction que le conflit sera de courte durée. Des propos qui semblent naîfs avec le recul du temps, lorsque Pergaud, par exemple, dit qu’il va partir †œconstruire des tranchées et coopérer à  l’établissement d’abris confortables.†

Puis ce seront les premiers morts amis, les malades et blessés quotidiens, l’arrivée du froid de novembre. Pourtant Louis ne veut pas inquiéter Delphine et tente toujours, pour elle, de sauver ce qu’il peut de sa situation : †œLes couchers et les levers de soleil ici sont magnifiques, et je goûte leur beauté comme un privé de toute autre joie.†

Fort heureusement, l’éditeur a fait le choix de publier aussi ses lettres aux amis, où la réalité apparaît bien plus brutale que dans le courrier à  sa femme. Ainsi, le 15 novembre il écrit à  Marcel Martinet : †œDemain il faudra recommencer comme hier cette dure existence, sans qu’il nous soit permis de nous dire : c’est dans tant de temps qu’on reverra les siens (« ), que ce cauchemar de maladie, de souffrance et de sang finira.†

Le 18 mars à  Lucien Descaves, on est bien loin des †œabris confortables† : †œLa tranchée est un îlot où l’on s’agrippe en naufragés. Ces îlots sont de la boue sur laquelle on pose des claies qui s’enfoncent peu à  peu. Pour établir des abris, il faut exhausser le plancher, si j’ose dire, et l’on doit rester plié en deux là -dessous, trop heureux encore qu’il y ait de la place.†

Le sous-lieutenant Pergaud en a bientôt fini avec la guerre. Et avec la vie. Sa dernière lettre à  Delphine, datée du 7 avril, se termine par : †œA demain, ma chérie, je te prends dans mes bras et je t’embrasse de toute mon âme, de toutes mes forces et de tout mon coeur.† On apprendra qu’il est mort ce jour-là , du côté des Eparges. On ne retrouvera jamais son corps.

Brigitte Tissot

Lettres à  Jeanne
Alain-Fournier
Edition Mercure de France (Petit Mercure)
110 pages – 5,50 euros

Lettres à  Delphine
(Correspondance 1907-1915)
Louis Pergaud
Edition Mercure de France
532 pages – 22 euros