Mille et un morceaux – Jean-Michel Ribes

Jean-Michel-Ribes

On connaît Jean-Michel Ribes pour ses séries devenues cultes : Merci Bernard et Palace. L’artiste protéiforme se révèle un écrivain délicieux lorsqu’il s’agit de survoler une vie et une carrière riches de péripéties et d’amitiés.

Mille et un morceaux – Jean-Michel Ribes couverture L'iconoclasteBeau-fils du peintre Jean Cortot, le petit Jean-Michel a vu dès son enfance s’asseoir à la table familiale le tout-Paris des lettres et du
spectacle : Kundera, Morand, Queneau, Chaval, Lautner, et j’en passe. Ces relations auraient eu de quoi faire enfler précocement les chevilles du jeune homme, mais ce ne fut, semble-t-il, jamais le cas. Et c’est là tout le charme de ces mémoires en vrac, où l’auteur, sur 500 pages sous forme de chapitres hétéroclites et de longueur variable, se retourne, affranchi des codes de l’autobiographie, sur une vie faite de passion créative, d’amour et surtout d’amitiés. Jamais l’auteur ne se hausse du col. Il est “cash”, dirait-on aujourd’hui, à l’aise avec ses échecs comme avec ses succès. Et quelle vie !
L’homme assiste à l’assassinat de son voisin de table dans un restaurant de Rio, se retrouve en peignoir dans la rue pour échapper à un mari jaloux… et défraie la chronique lorsque sa mise en scène de Golgota Picnic au Théâtre du Rond-Point dont il est le directeur, le place sous surveillance policière, en raison des manifestations d’intégristes qui veulent faire interdire la pièce.
Aucune forfanterie, aucun triomphalisme jamais pour évoquer les succès d’une carrière qui l’a vu acteur, scénariste, réalisateur, et surtout metteur en scène de théâtre. A chaque fois une sorte d’émerveillement que “ça marche”. Il ne craint pas d’ailleurs d’évoquer ses échecs et ses projets avortés, ou les affres d’un travail à rendre quand l’inspiration vous déserte.
Et puis surtout, ce qui le porte, c’est l’amitié. Et à le lire on adorerait être l’ami de cet homme-là, si fidèle en affection. Il y a le tout premier, le peintre Gérard Garouste avec lequel il a partagé des jours sinistres au pensionnat du Montcel (celui-là même où fut “exilé” aussi Patrick Modiano). Et puis Topor, Roland Blanche, Philippe Khorsand, Jacques Villeret
Les portraits qu’il dresse de ceux qu’il a croisés au cours de sa carrière sont savoureux, chaleureux avec parfois une pointe de vacherie, comme celui de Jérôme Savary. Enthousiastes, comme celui du producteur Christian Fechner (“un seigneur, un magicien, un parrain”). Il est sans doute le premier metteur en scène à déclarer sa flamme même aux critiques théâtraux !
Dans ce livre qui nous balade de l’homme public à l’homme privé, la tristesse affleure discrètement : “Je n’ai jamais eu d’objectif, sinon de parvenir à vivre chaque jour le moins douloureusement possible. C’est peut-être cette agitation pour ne pas sombrer dans la mélancolie à laquelle je dois d’avoir fait ce métier de théâtre.” “Le seul art qui vaille est celui de vivre”, nous dit-il aussi.
Pour cette autobiographie qui n’en est pas une, pour ces tranches de vie délectables, Merci Jean-Michel.

Brigitte TISSOT
Mille et morceaux
Jean-Michel Ribes
Editeur : L’iconoclaste
520 pages – 23 euros
Parution : août 2015
Extrait :
“L’éducation anglaise annoncée sur le dépliant du collège se manifestait entre autres par la présence d’un professeur d’escrime qui enseignait la façon de toucher à la fin de l’envoi dans une petite cabane proche du parc, deux heures tous les jeudis. L’attraction du déguisement me fit m’inscrire à cette activité quelques mois jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’il s’agissait en vérité d’un sport. Mais le casque grillagé, le plastron molletonné et le fleuret me firent oublier l’espace de quelques heures par semaine ma condition pénitentiaire. Les matchs de foot approximatifs sur la pelouse en fin d’après-midi, et ceux de hockey sur gazon qui se terminaient en pugilat à coups de crosses dont personne ne savait se servir, permettaient à la petite infirmerie sise près du portail d’empiler un nombre considérable de garçons amochés ravis d’être mercurochromés par la ravissante aide-soignante, petite-fille du directeur.”