Dans le passage un pope de Petrov

Dans la Russie post-soviétique, un pope christique redonne l’espoir à tous les marginaux qui se réfugient dans un passage du centre-ville. Un texte puissant, un scénario digne de Jacques Tati avec des personnages de Vénédict Eroféiev.

La gare ferroviaire de NIjni Novgorod

Dans une ville de Russie jamais citée, peut-être la ville natale de l’auteur, Nijni Novgorod quand elle s’appelait Gorki, après la chute du communisme, Petrov décrit un lieu stratégique de la cité, un passage où se retrouve la faune de ceux qui n’ont rien gagné avec la chute du régime et qui ont même perdu le peu qu’ils avaient avant : deux anciens d’Afghanistan ou de Tchétchénie, une unijambiste, une vieille bigote, un jeune homme pleurnichard, quelques petits commerçants et une meute de clébards. « Pour traverser la large avenue mais pas seulement. Trois escaliers, trois descentes pentues grossièrement bitumées y plongent, ou, c’est selon, débouchent sur les deux rues plus modestes et sur ceux du boulevard, sur la place aussi, en, tout six voies d’accès, on emprunte avant tout les deux bouches principales, celle de la place, de l’une à l’autre et de l’autre à l’une le passage comme un tube. Un boyau ». Les clochards et les mendiants se retrouvent dans ce passage métaphore de la ville sous le nouveau régime : complexe, inadaptée, tortueuse, pleine de méandres, de chicanes et de cul-de-sac, en perpétuelle transformation, envahie par les chantiers, les constructions nouvelles qui se dégradent bien vite. Et au milieu de ce monde provisoire avec ces pauvres hères, attentionné, à leur écoute, un Saint Vincent de Paul orthodoxe, un pope.

Dans le passage un pope de Petrov couvertureIl est là, tout simplement là, au milieu du passage, sorti du tutti des mendiants, badauds et petits commerçants à la sauvette, des traîne misère de l’après communisme qui peuplent le souterrain. Il est sorti du tutti des malheureux comme le soliste est sorti du chœur dans le rituel religieux de la Grèce antique pour donner naissance à la tragédie. Sa simple présence donne une dimension dramatique à cette scène qui ne serait, sans sa présence monolithique, que banale, « ferme et doux, sobre et à sa manière élégant, dans le passage il ne fait rien qu’y être mais quel style ». Sa personne contraste avec la population du passage, il apparait comme le bon samaritain de ce tableau, « Large et très peu marqué, le visage. Rose uni. Inexpressif. Pas un sourire, pas une mimique, de grimace encore moins. Rien d’une émotion. Dans le passage il ne fait rien ou presque. Il est là ». Il parle peu, il chuchote seulement à l’oreille de la vieille bigote surtout. Il lui laisse un message d’espoir, il évoque ce qu’on ne voit pas car on ne voit pas tout. « …dans ce qu’on voit on voit toujours moins que ce qu’il y a à voir, ce que l’on voit privé du reste, qu’on ne voit pas ou qu’on voit sans le voir ».

Petrov avec des textes courts construits de phrases courtes, souvent très courtes, réduits au strict minimum, juste l’essentiel, dresse un tableau allégorique de la Russie postcommuniste qu’il met en scène comme un film muet, une succession de plans pour montrer, expliquer, faire vivre le lieu, un film à la Jacques Tati avec des personnages de Vénédict Erofiev. Il faut souligner le travail de la traductrice car elle nous livre un texte extrêmement travaillé qui laisse penser que l’auteur a pesé chaque mot et l’a placé dans la phrase avec un grand soin. Les phrases sont très concises mais pas simples pour autant, les mots sont soigneusement placés de façon à retenir l’attention du lecteur. Les déterminants ou les mots importants de la phrase ou du paragraphe sont souvent placés à la fin de façon a créer une sorte de suspense.

Un texte très contemporain, fort, déstructuré comme la société post-soviétique que l’auteur décrit. Au milieu de cette déliquescence, un messager qui chuchote à l’oreille de la vieille bigote son message d’espoir. Il est l’acteur du tableau, le soliste devant les chœurs, l’éclaireur devant le troupeau… « Et puis rien. Plus de pope. Quand il n’est pas au courant d’air, dans le couloir, c’est la neige, c’est le froid, la place par tous les temps ».

Denis Billamboz

Dans le passage un pope
Roman russe de Petrov
Editeur : Louise Bottu
120 pages – 14€
Date de parution :  12 février 2016