L’Administrateur provisoire – Alexandre Seurat

Il y a des secrets de famille plus lourds à porter que d’autres. Certains poussent même à commettre l’irréparable. C’est ce que raconte le deuxième roman d’Alexandre Seurat, jeune professeur de lettres.

Alexandre Seurat
© Tina Merandon – Signatures

Un titre laconique : L’Administrateur provisoire. Mais une histoire complexe. Celle de Raoul H, nommé administrateur provisoire au commissariat général aux questions juives de juin 1941 à mars 1943. Il y a ceux qui lui trouvent des excuses. S’engager là lui permettait peut-être de faire libérer son fils. Il y a ceux qui ferment les yeux. Ah bon ? Non, vraiment, je n’étais pas au courant. Il y a ceux que cela détruit : “À présent, mon frère n’est plus que ce cercueil, gigantesque forme sombre qui occupe toute l’allée centrale”. Il y a ceux qui cherchent comme le narrateur du livre, arrière-petit-fils de Raoul.

SeuratChercher dans les méandres de la mémoire de chacun. Aller voir ceux qui savent ou pourraient savoir. Les parents, les oncles, les aïeux, même les plus éloignés… Passer des journées aux archives pour trouver l’indicible. Et puis, un jour, tout découvrir. Être abasourdi. Encaisser le choc. Essayer de comprendre l’incompréhensible. “Je viens de là, de Raoul H”… Comment ne pas avoir honte, des années après, des actes de cet arrière-grand-père pourtant jamais connu. Comme si ce sang qui coule encore dans les veines était vicié à jamais.

Alexandre Seurat livre un deuxième roman poignant. On retrouve ce que l’on avait aimé si fort dans son précédent livre, La Maladroite. Un style concis. Des phrases qui pénètrent le cerveau et le cœur. L’auteur angevin cherche le mot juste qui va nous toucher pile là, au bon endroit. La Maladroite parlait d’un terrible fait divers : la mort d’une petite fille sous les coups de ses parents. Ici, il s’empare des heures les plus sombres de la grande Histoire. Comme pour ne pas oublier. Jamais. Ne pas oublier les spoliations abjectes. Ne pas oublier qu’à l’époque certains Parisiens “préféraient aller au Printemps plutôt qu’aux Galeries parce qu’aux Galeries Lafayette, c’était trop juif”. L’auteur fait le procès posthume de ce Raoul. Un type comme un autre. Un type dont la famille dit même : “Par certains côtés, c’était un homme original, moderne”. Des mots tellement déconnectés de ses actes. Mais enfin… Raoul H ne faisait que son devoir semblent laisser entendre certains. Idée inacceptable qui poursuit le narrateur de bout en bout du récit.

Ce roman documentaire ne peut laisser indemne. Face aux vies déchirées de Ludwig Ansbacher ou d’Emmanuel Baumann, la quiétude de Raoul H est insoutenable. Le narrateur reste hanté par le malaise familial. L’auteur ne peut se résoudre à comprendre un tel drame de l’Histoire. Une seule envie à la fin de cette lecture : passer de nouveau rue des Rosiers et retourner au Mémorial de la Shoah. Pour ne vraiment jamais oublier.

Delphine Blanchard

L’Administrateur provisoire
Alexandre Seurat
Éditeur : Le Rouergue
192 pages, 18,50 €
À paraître le 17 août 2016