Grandaddy – Last Place

Un disque de Grandaddy a-t-il encore une raison d’être en 2017 ? Jason Lytle et sa bande prouvent toute la pertinence de leur retour avec ce Last Place, qui semble faire du surplace mais du surplace en apesanteur.


Grandaddy © DR

Évoquer les années 90, c’est quelque part revenir à une période où notre capacité à être étonné n’était pas encore tant que cela entamé, où l’on avait l’impression d’être d’un mouvement, d’une vague nouvelle. A cette époque-là, Pavement était roi, Super Furry Animals sortait des galettes impeccables mais dans tous ceux-là, il y avait ce petit groupe de Modesto qui créait une forme de trait d’union entre Neil Young, des effluves du Punk ou encore du Grunge. Un groupe qui réconciliait la mélancolie d’un Mark Linkous avec une certaine idée de la Pop. Un groupe qui signa sans aucun doute un des plus beaux titres de la musique avec He’s Simple, He’s Dumb, He’s the Pilot. Bien sûr, nous parlons ici de Grandaddy.
On n’aura jamais vraiment su si le projet de Jason Lytle et de ses amis skateboarders était en pause ou définitivement aux abonnés absents. Le dernier chapitre, Just like the Fambly Cat, sorti en 2006, il y a déjà 11 ans, nous avait laissé sur notre faim avec cette impression tenace que laissent les grands disques malades, ce sentiment d’inachevé, de posé trop vite. Il faut dire qu’il était mal en point le pauvre Jason Lytle aux prises avec des addictions diverses et variées.

Il faudra attendre 3 longues années après la fin du groupe pour voir à nouveau émerger Jason Lytle avec un premier disque solo et sa prolongation en 2012 avec  quelque chose qui relève de l’évidence : Jason Lytle c’est Grandaddy et Grandaddy c’est Jason Lytle.

grandaddy Last PlaceAvec Last Place, on retrouve à peu de choses près les mêmes ingrédients que l’on retrouve tout au long de la discographie de l’américain. Bien sûr, on devine ici et là, dans de minuscules détails quelque chose qui relève de l’inédit et de la nouveauté. Mais il faut l’admettre, on entre dans ce disque comme l’on rentre dans son lit, sans effort et dans un parfait confort. A la première écoute, on croit deviner une forme de paresse dans la composition mais plus on écoute Last Place, plus on s’y attache. C’est un grand disque spontané qui doit s’apprivoiser. On y retrouve cette même énergie positive et nonchalante que l’on trouvait sur Sumday. Les fenêtres sont peut-être plus largement ouvertes encore.

De Way We Won’t en ouverture à Brush With The Wild ou le volontairement répétitif Evermore, Jason Lytle propose une version électrifiée de ce que faisaient les Beach Boys en d’autres temps, un optimisme frelaté et opiacé, une dénaturation des perspectives entre des formules arythmiques et des angles métronomiques. On se plait à chercher ici et là des indices, des clins d’œil à la discographie  du groupe. On se demande aussi ce qu’a apporté à leurs compositions les escapades solo de Jason Lytle.
Un titre comme The Boat Is In The Barn ne dépareillerait pas sur Dpt Of Disappereance quand Jed The 4th se veut comme un sourire complice aux plus grands fans du groupe de Modesto avec cette manière de donner des nouvelles d’un personnage récurrent dans les chansons de Jason Lytle, comme un double de lui-même. Bien sûr, on y retrouve ces chansons oulipolesques, toute en rupture comme ce Check Injin à la fois régressif et anecdotique, il y a aussi beaucoup de Jason Lytle, de son parcours. Prenez I don’t wanna live anymore, comme une reconstruction nécessaire loin de Modesto, pour celui qui vit désormais dans les montagnes du Montana.

Il y a toujours eu chez Jason Lytle, et Last Place ne déroge pas à la règle, un rapport à la dépression, cet état presque parallèle à la vie, de ceux que l’on retrouve dans les disques d’un Joe Pernice. Une volonté à ne pas se laisser submerger par le sommeil comme dans That’s What You Got For Gettin Outta Bed  ou encore This Is A Part et ses emprunts à John Lennon. Grandaddy a toujours eu un sens de la narration, de la dramaturgie qui se construit sur l’ensemble d’un disque. On se souvient de The Final Push To The Sum sur Sumday qui venait conclure un tout. On reconnaît encore sur Last Place et dans A Lost Machine le grand humaniste que reste envers et contre tout Jason Lytle, une empathie à la chair, à l’os de ses chansons. On pourra laisser les esprtis chagrins lui reprocher cette attitude de surplace, on les laissera chercher le révolutionnaire, l’étonnement premier. On les laissera à cela car nous, on sera ailleurs, haut, bien haut, ailleurs dans cette apesanteur ample.

Greg Bod

Grandaddy – Last Place
Label : Columbia
Sortie le 03 mars 2017