Akira Kosemura – In The Dark Woods

Avec le nouveau disque du japonais Akira Kosemura et ces miniatures pianistiques, on trouvera certainement un bien bel abri contre le froid et le retour de la routine du quotidien.

Akira Kosemura

Du Japon, en musique, on n’en a souvent que des clichés et pourtant, la scène nippone est bien plus passionnante que la seule J Pop navrante. On pourrait parler ici des vétérans Envy ou encore de Mono dont le leader Takaakira ‘Taka’ Goto sort un premier disque solo fin septembre sous le nom de Behind the Shadow Drops. On pourrait parler de cette musique-là souvent jouant avec les limites, avec le lyrisme entre puissance et dévoilement de l’intime, entre hommage aux enfers et puits sans fond.  Il y a dans la musique comme dans le cinéma japonais une crainte de la grande apocalypse, sans doute dernier soubresaut des hibakusha d’Hiroshima et de Nagazaki.

Akira Kosemura – In The Dark WoodsAkira Kosemura, pianiste de Tokyo, nous fait une autre proposition. Bien sûr, on retrouve dans ses compositions ce lyrisme affirmé si asiatique qui fait que dès la première note de musique, on sait que l’on navigue du côté de l’empire du levant.
Malheureusement, en Europe, on connaît mal les productions asiatiques et on a bien tort car on peut le dire ici haut et fort, toute personne qui retrouve un peu de sa sensibilité dans les disques d’Olafur Arnalds, Max Richter, Dustin O Halloran et bien d’autres devrait trouver son comptant dans ce que la scène japonaise en particulier peut proposer. On pourra citer Piana, Motohiro Nakashima, Takahiro Hido, Haruka Nakamura et bien sûr Akira Kosemura.

Voilà 10 ans que le monsieur explore un sillon entre musique électronique et contemporaine, entre Pop et néoclassique. Il faut comprendre la raison d’être de son label, Schole, comme un terrain de jeux et d’expérimentations, en solitaire ou en belle compagnie. Collaborant avec Devendra Banhart ou enregistrant Dakota Suite ou Quentin Sirjacq, le pianiste crée lentement mais sûrement ce que l’on peut appeler une œuvre.

Tout est dans le titre avec ce nouveau disque, In The Dark Woods. On entre dans la musique de Kosemura comme l’on se recroqueville sur soi, un peu à l’image de cet enfant qui lit dans son reflet entre les ondes de l’eau de la rivière l’être futur qui se constitue malgré lui.
Largement articulé autour d’un piano étouffé et couleur fin de siècle, In The Dark Woods est une œuvre qui choisit de ne pas choisir entre mélancolie, croyance en le lendemain et crainte de l’instant suivant et ce n’est pas ces morceaux avec leurs fins en queue de poisson ou en points de suspension qui viendront contredire cette impression fugueuse.

On est aussi proche que l’on peut l’être d’une certaine forme d’apesanteur à l’écoute de DNA, Resonance ou encore Between The Trees où le minimalisme expressif d’Akira Kosemura se suffit à lui-même et offre à celui qui l’écoute d’immenses étendues de rêveries. On ne tombera dans l’écueil de la référence aux gymnopédies d’Erik Satie ou au jeu avec le silence d’un Arvo Pärt. Pourtant, il est évident qu’en ces premières mesures d’infinie délicatesse, on navigue à vue du côté d’une musique dépouillée.
On sent à l’écoute d’In The Dark Woods une évidente volonté de fuite, on y entend aussi le rythme d’une déambulation presque sereine.
Avec Sphere, Akira Kosemura convoque en lui son penchant plus électronique avec ses boucles de synthétiseur célestes entre Jazz et musique répétitive et finalement pas si éloignées des idées de Max Richter sur Three Worlds: Music from Woolf Works.
Dans la prolongation de One Day, son disque précédent, Akira Kosemura poursuit un travail sur la dilatation d’une idée que ce soit sur le modeste mais lumineux Kaleidoscope Of Happiness ou encore dans cette suite Inside River comme autant d’emprunts voire de clins d’œil aux codes et à la rythmicité d’une musique de films. Tout le talent du japonais réside dans cette capacité à ne pas seulement illustrer une image intérieure mais à créer un univers plein à partir de si peu ou presque rien.
Shadow renverra aux premiers efforts de Max Richter pour cette même tristesse volontaire et cet ostinato que ne renierait pas Philip Glass.

Rien de surprenant à retrouver une allusion plus que prononcée à David Lynch et plus particulièrement Angelo Badalamenti dans Dedicated To Laura Palmer tant la parenté entre Kosemura et son aîné semble évidente et plus particulièrement dans les pièces plus à base de nappes électroniques et de drones comme des coussins de ouate doucereux.
Ceci dit, là où le tokyoïte reste le plus bouleversant, c’est dans ces miniatures au bord du presque rien comme Moving ou Snowy Sky, étrangement à la fois dénudées et hantées. Ne venez pas pour autant chercher ici une musique misérable, dépressive, neurasthénique ou refermée sur elle-même. Il suffit d’entendre la paix tranquille de Spark pour comprendre que toute la mélancolie du monde peut être contenue dans une minuscule particule de poussière.

La fin du disque évoquera sans aucun doute ces souvenirs troubles de l’enfance, plus des impressions ou des sensations, l’herbe haute qui caresse le mollet, la chaleur du soleil sur la joue, le vent qui se faufile sous nos vêtements.  D’Innocence à l’aquatique The Cycle Of Nature en passant par Stilness Of The Holy Place ou In The Dark Woods, l’intérêt n’est pas ici dans la virtuosité ni même dans la novation mais bien plus d’atteindre l’émotion à l’os, le peau à peau premier.

On trouvera parfois ici et là des traces d’un classicisme délicieusement désuet à l’image du Lennie NIhaus, compositeur attitré pour les musiques des films de Clint Eastwood. Il faut insister sur la beauté de la pièce maîtresse, la déjà nommée Stilness Of The Holy Place, superbe et longue montée irradiante et sans doute parmi les plus beaux moments musicaux que vous entendrez cette année.
En Akira Kosemura, sommeille sans doute une envie d’Europe, des tonalités orchestrales à la Mahler, des volontés romantiques également mais sans doute ce qui donne toute son intensité à In The Dark Woods, c’est la largeur de son spectre musical, entre torpeur et caresse…

Entre légèreté, profondeur et jeux avec les ombres, Akira Kosemura signe un disque magistral à écouter entre chien et loup, au plus neutre des heures bleues…

Greg Bod

A signaler son indispensable complément en DVD et les cinq clips qui l’accompagnent.

Akira Kosemura – In The Dark Woods
Labels :  Schole / 1631 Recordings
Sortie : 15 septembre 2017