[Live report] Belle and Sebastian réchauffe Paris le temps d’un concert

Pendant que la neige paralysait Paris tout entier ce mercredi 7 février 2018, les écossais de Belle and Sebastian eux réchauffaient l’atmosphère et surtout les spectateurs de la salle Salle Pleyel venus admirer un groupe toujours aussi touchant de simplicité.

Belle and Sebastian - Salle Pleyel

Stuart Murdoch nous le rappelle, avant d’entamer un Dog on Wheels beau à en pleurer (d’ailleurs les larmes me sont venues aux yeux) : il y eut une époque où Belle and Sebastian était plus connu en France qu’en Grande Bretagne, entre 1996 et 1997. Du coup, il me semble évident. Irrésistible même, ce mélange d’ironie légère, de grâce aérienne et de joie un peu mélancolique (pour reprendre les termes d’un copain mélomane, retrouvé à la fin du concert, et avec lequel j’ai pu échanger à chaud mes – excellentes – impressions). Du coup, je demande quand même pourquoi c’était ce mercredi 7 février 2018 mon premier concert de Belle and Sebastian, un groupe dont je possède pourtant pas mal d’albums, depuis le sublime « If you’re feeling sinister » ? Oui, pourquoi suis-je passé plus de 20 ans à côté de ce plaisir-là ?

« On se serait cru dans Fargo, nous raconte Stuart… » (rapport à la météo de ces jours-ci)

Pourtant ce soir, ce n’était pas gagné : Paris et la moitié nord de la France paralysées par la neige, ce qui n’avait pas rendu facile l’accès à la Salle Pleyel, que l’on vienne de Rueil en Autolib comme moi, de Rouen en train comme mon pote, ou de Strasbourg en bus comme les huit musiciens de Belle and Sebastian (« On se serait cru dans Fargo, nous raconte Stuart avant de dédier sa prochaine chanson au conducteur du car…). Le premier rang assuré quand même malgré mon arrivée tardive, quelques minutes de répit pour contempler cette belle et grande salle plutôt dédiée au classique et à la variété, et c’est 20 heures…

The Pictish Trail - Salle Pleyel … l’heure de découvrir la première partie, l’Écossais Pictish Trail (en fait, renseignement pris, l’homme se nomme plus rationnellement Johnny Lynch et Pictish Trail est évidemment son pseudonyme), joyeux plaisantin originaire de l’Ile d’œuf (Eigg Island, 150 habitants) qui nous fait rire avec ses blagues (« … du coup j’ai peur quand je vois autant de monde qu’ici ce soir ! »)… mais ne nous charme pas autant qu’on l’aurait aimé avec sa musique. Tranchant avec son look de fada vaguement hippie, avec, je vous prie de noter, un maquillage métallique sur les joues et le nez, partagé avec ses musiciens, Johnny surprend d’emblée grâce à sa très belle et très pure voix d’ange, régulièrement élevée en haute-contre d’ailleurs. Inattendu, et ce d’autant que les accords éthérés de la guitare entrent en collision avec les sons grinçants, souvent parodiques qui sortent du synthé. Tout cela dénote un artisanat bien sympathique, et ce d’autant que l’humour et la gentillesse du bonhomme sont tangibles, mais toutes ces qualités réunies ne débouchent pas sur une musique vraiment conséquente. Il y a toujours quelque chose qui cloche dans la musique de Pictish Trail, et le pire c’est que c’est certainement volontaire ! Jusqu’au dernier morceau, le seul franchement rock, qui semble finalement ordonner tout ce foutoir bon enfant pour nous offrir quelques minutes de plaisir. Une drôle d’affaire !

« Un groupe sous-estimé, un peu délaissé, au fil d’albums pas toujours complètement convaincants. »

21h00 : la scène de Pleyel est large et profonde, mais les musiciens de Belle and Sebastian sont nombreux, qui, outre leur fameux échange perpétuel d’instruments entre les morceaux (n’oublions pas qu’ils furent pionniers en la matière, et imités par de nombreux groupes ensuite !), nous gratifient de projections en arrière-plan de photos, vidéos et montages d’ambiance particulièrement pertinents par rapport aux textes et à l’atmosphère des chansons : ça démarre très fort avec de belles images en noir et blanc d’amour et de souffrance, rythmées par des mots faisant en écho avec le texte de Nobody’s Empire. Ça semble très pro en fait, et donc assez loin de l’image que le groupe avait à ses débuts de jeunes amateurs timides et dilettantes. Je m’inquiète un peu de ne pas retrouver la vieille magie – souvent célébrée – de cette musique tremblante, fragile : on sait combien le passage des années peut dessécher le cœur, combien la maîtrise technique acquise avec l’expérience repousse les fantômes timides de l’inspiration…

Belle and Sebastian - Salle Pleyel

J’ai tort de m’inquiéter, car très vite, il est évident que le cœur du groupe bat toujours aussi fort : est-ce la voix, régulièrement bouleversante, de Stuart Murdoch, qui lorsque les chansons lui permettent de s’épanouir, nous saisit littéralement ? Est-ce la spontanéité qui règne visiblement sur le set, et qui fait que chaque chanson ressemble à une surprise que le groupe nous fait, mais se fait aussi à lui-même ? Je pense que c’est sur The Boy Done Wrong Again, premier extrait enchanté de l’immortel « If you’re feeling sinister » que je m’avoue conquis, vaincu par ce groupe que j’ai finalement sous-estimé, un peu délaissé, au fil d’albums pas toujours complètement convaincants.

Belle and Sebastian - Salle Pleyel Aux côtés de Stuart, il est visible que Stevie Jackson, dont le physique tranche d’ailleurs avec le rigorisme miniature, vaguement veggie, qui est un peu l’image de Belle and Sebastian (« Cécile Aubry, encore merci ! »), assure une belle part du show, se donnant en spectacle avec une fougue qui dépasse régulièrement ses capacités de chanteur. Rappelons donc que, même si cela en irrite beaucoup, chez nos Écossais, chanter faux fait partie du deal, et loin de gâcher les chansons, leur confère une sorte d’amateurisme sympathique (rappelez-vous le premier album d’Aztec Camera, ou toute la discographie de Galaxie 500 : il y eut dans les années 90 une véritable élégance du chant approximatif !).

Sarah, juste devant moi, est, elle, beaucoup plus réservée derrière son clavier ou avec son violon et sa flûte, et je trouve que ce ne sera que sur la fin du set qu’elle se lâchera, et rejoindra les autres dans la douce euphorie générale

« un Fox in the Snow tremblant qui nous rappelle le goût de nos hivers d’enfance »

Ce qui est bien avec une discographie aussi variée s’étalant sur 20 ans, c’est que Belle and Sebastian peuvent désormais nous offrir 1 heure et 35 minutes de musique parcourant toute une gamme de sentiments, de rythmes, de genres même, sans jamais pour autant nous perdre. Bien sûr, Stuart, au four et au moulin, est un peu le Monsieur Loyal de la bande : il s’assied au bord de la scène pour chanter plus près de nous, il raconte maintes anecdotes en se débrouillant même occasionnellement en français, il va discuter avec le jeune français recruté pour la soirée pour officier à la trompette et qui fait d’ailleurs un boulot superbe, il organise manu militari une invasion de la scène pour avoir orchestrer un ballet de fans lorsque la musique se fait plus groovy ! The Party Line, qui voit Stuart nous mimer la fièvre du mercredi soir debout sur son piano, nous réjouira tous, avant un finale, rappel y compris, qui revient, très logiquement, sur les premières heures, les plus magiques, du groupe.

Belle and Sebastian - Salle Pleyel Ce rappel, justement, qu’on nous présente ironiquement comme improbable et non prémédité, débute par une « song on request », choisie après réflexion et délibération entre Stevie et Stuart à partir des propositions du public. Sympathique, mais quand même anecdotique par rapport à ce qui va suivre : d’abord, un Fox in the Snow tremblant qui nous rappelle le goût de nos hivers d’enfance (bien différent, avouons-le, de celui de la neige d’aujourd’hui qui nous fait rager parce qu’elle bloque nos voitures…), et puis un Get Me Away From Here, I’m Dying qui pourrait servir encore et toujours d’étendard à une rébellion de la gentillesse et de la sincérité.

Pas très rock’n’roll, j’en entends qui disent. Oh que si, mes amis : cette musique est aussi punk que celle des jeunes américains de Starcrawler la semaine dernière, aussi rebelle dans sa détermination à avancer « wearing its heart on its sleeve », comme on dit là-bas. Bien sûr, Stuart, en bon Ecossais, a évoqué la Aulde Alliance, a maudit le Brexit (et rappelé qu’il souhaitait l’indépendance de l’Ecosse… pour que le pays puisse concourir à l’Eurovision !), mais sa vraie révolte, il la portait bien comme ça, dans cette humanité si apparente qui élève les meilleures chansons de Belle and Sebastian bien au-dessus de la concurrence.

Bref, je suis ressorti de Pleyel conquis, et si le verglas envahissait de nouveau les trottoirs et les rues de la capitale, mon cœur était, lui, bien au chaud. »

Textes et Photos : Eric Debarnot

Les musiciens de Belle and Sebastian sur scène :
Stuart Murdoch – vocals, electric and acoustic guitar, keyboards
Stevie Jackson – vocals, electric and acoustic guitar
Chris Geddes – keyboards
Richard Colburn – drums and percussion
Sarah Martin – keyboards, violin, flute and vocals
Bobby Kildea – guitar and bass
Dave McGowan – bass, guitar, and keyboards
+ une violoncelliste et un trompettiste

La setlist du concert de Belle and Sebastian :

Nobody’s Empire (Girls in Peacetime Want to Dance – 2015)
I’m a Cuckoo (Dear Catastrophe Waitress – 2003)
We Were Beautiful (How To Solve Our Human Problems Pt. 1 – 2017)
The Boy Done Wrong Again (If You’re Feeling Sinister – 1996)
Another Sunny Day (The Life Pursuit – 2006)
Sweet Dew Lee (How To Solve Our Human Problems Pt. 1 – 2017)
Funny Little Frog (The Life Pursuit – 2006)
Piazza, New York Catcher (Dear Catastrophe Waitress – 2003)
A Summer Wasting (The Boy with the Arab Strap – 1998)
Seymour Stein (The Boy with the Arab Strap – 1998)
The Same Star (How To Solve Our Human Problems Pt. 2 – 2018)
Show Me the Sun (How To Solve Our Human Problems Pt. 2 – 2018)
Dog On Wheels (Dog on Wheels – 1997)
The Boy With The Arab Strap (The Boy with the Arab Strap – 1998)
The Party Line (Girls in Peacetime Want to Dance – 2015)
Judy and the Dream of Horses (If You’re Feeling Sinister – 1996)

Encore:
Jonathan David (Push Barman to Open Old Wounds – 2005)
The Fox in the Snow (If You’re Feeling Sinister – 1996)
Get Me Away From Here, I’m Dying (If You’re Feeling Sinister – 1996)