Penché dans le vent : dans la peau d’Andy Goldsworthy

Thomas Riedlsheimer retrouve le land artist Andy Goldsworthy pour une nouvelle exploration de son travail, en prise directe avec la Nature, ses matières et ses formes.

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Seize ans après leur première collaboration (Rivers and tides), Thomas Riedlsheimer et Andy Goldsworthy se retrouvent de nouveau pour évoquer et comprendre le processus créatif du land artist britannique. Le temps a passé, évidemment, et comme il passe, de quelques minutes à plusieurs mois, sur les œuvres de Goldsworthy. Celui-ci a divorcé, sa femme est décédée ensuite, sa fille travaille désormais avec lui, les cheveux sont plus blancs et plus épars, mais son rapport à la Nature lui, quasi mystique, n’a jamais cessé d’inspirer ses nombreuses démarches artistiques, de la plus minimale (des traits de feuilles sur des marches d’escaliers) à la plus ambitieuse (élaborer des « cocons » de pierre à travers le monde).

penche-dans-le-vent-affiche-thomas-riedlsheimerC’est dans ces années qui ne sont plus que Penché dans le vent s’inscrit non pas dans une banale répétition de Rivers and tides, mais dans une continuité allant de soi qui, à l’instar des conceptions de Goldsworthy, prend soudain en compte le temps qui s’écoule et qui s’est écoulé (voir par exemple les images d’un vieux film de famille, touchantes et drôles, où Goldsworthy travaille avec trois de ses enfants). Riedlsheimer enregistre patiemment les cheminements (et les interrogations) de l’artiste dans sa quête de l’éphémère et de l’invisible. Et de la place de l’homme, imposée et pourtant fragile, au milieu des beautés, des histoires de la Terre.

Quant à ses nouvelles œuvres, c’est là encore un enchantement absolu. Des trottoirs mouillés d’Écosse à la jungle tropicale, de la Provence aux landes anglaises, Goldsworthy continue, humblement, à façonner formes et matières surgies des paysages. Un fin rayon de soleil passant dans le trou d’un toit suffit par exemple à Goldsworthy pour imaginer une magnifique danse de poussière. Tout devient ainsi prétexte à invention : quelques pétales de fleurs soufflés dans l’air, du pollen s’envolant d’un sapin que l’on agite, un mur de pierres coupé en deux, un arbre recouvert d’argile se craquelant au fil des semaines, des « ombres de pluie »… Le minéral, le végétal et les éléments (l’eau en particulier) sont les essences pures de ses créations qui n’ont pas fini de questionner notre rapport à l’environnement et, plus simplement, de nous émerveiller.

 

Sur Rivers and tides

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En ce début de siècle où la préservation de l’environnement (et la cohabitation de l’homme avec celui-ci) incarne l’une des questions essentielles pour les générations futures, en ces périodes troubles où le temps se fourvoie à force de technologies trop souvent imposées, où les bonheurs simples s’abrègent sous le poids d’habitudes superflues, contempler Rivers and tides (le film ne se regarde pas, il s’admire, il se vit) procure une incroyable sérénité dans l’impitoyable urgence du monde. Suivant les pas du land artist Andy Goldsworthy dans ses différents processus de création, Thomas Riedlsheimer offre au spectateur un documentaire fascinant sur l’harmonie essentielle, bienfaitrice, entre l’homme et la nature.

rivers-and-tides-affiche-thomas-riedlsheimerÀ travers la conception d’œuvres d’art éphémères (quelques heures, quelques jours, parfois des mois) et le plus souvent improvisées, en perpétuelle concordance avec les influences météorologiques (soleil, pluie, vent, marée) et la topographie du site choisi, le film donne à ressentir, très concrètement, les éléments de la Terre comme un flux invisible, une force vitale à notre condition et nos aspirations. Sous nos yeux émerveillés, Goldsworthy façonne des sculptures et des installations étonnantes (serpent de pierres, caducée de glace, toile d’araignée en bois, rivière de fleurs…) en prise directe avec les paysages alentour et le temps qui s’égrène.

Cette communion avec le végétal et le minéral, sans mot ni explication, voit l’artiste reconstruire un monde insaisissable où l’homme, comme revenu à ses origines, sait s’imprégner et vivre des ressources qui l’entourent (et non plus les exploiter et les détruire). D’une grande humilité, Goldsworthy laisse ses œuvres à la seule perception d’une nature retrouvée, à sa seule appréciation et sa seule autorité. Balade contemplative et magnifique, très loin d’un énième pensum écologiste, Rivers and tides stimule et purifie l’esprit, permettant d’envisager d’abord les mystères d’un cheminement créatif, ensuite l’humble et constant respect que l’on se doit d’accorder à notre environnement.