Lettre ouverte à Bruit Noir

Bruit Noir, le duo constitué par Jean-Michel Pirès et Pascal Bouaziz (de Mendelson) sort un second brûlot entre règlements de compte et sarcasme grimaçant. Lettre ouverte aux intéressés.

Cher Bruit Noir, cher Jean-Michel Pirès, Cher Pascal Bouaziz

Vous permettez que je vous appelle Jean-Michel ? Vous permettez que je vous appelle Pascal ?

Je viens aux nouvelles vous concernant car la dernière fois que j’ai pu avoir quelques informations, c’est en novembre dernier où j’ai pu vous croiser  Mitch’ (Vous permettez que je vous appelle Mitch’ ?) à l’occasion d’une interview des Married Monk lors du Festival Invisible. Vous me disiez que Pascal était parti pour un long périple et que la dernière fois que nous avions eu des nouvelles de lui, il venait de quitter l’Iran pour rejoindre la Corée du Nord, une certaine idée de la force quotidienne du mal, non ?  Quand nous échangions sur le nouveau Bruit Noir que vous veniez de finir de mixer la semaine précédente, vous étiez pour le moins évasif à défaut d’être gêné et  que je botte en touche, et que je balbutie maladroitement. « Avec ce disque, on ne va pas se faire que des amis » m’asséniez-vous laconiquement.

Pascal, Vous permettez que je vous appelle Pascal ? Pascal, donc, j’espère que votre voyage s’est bien passé et que vous en êtes rentré tout ragaillardi.  Au moment où j’écris ces mots, à la télé on ne cesse d’assister à des débats creux à la langue de bois, ces égoïsmes qui se conjuguent au jaune. C’est peut-être cela qui provoque quelque malentendu pour l’auditeur hâtif à l’écoute de votre disque, II/III.  A force de digérer des petites choses insipides sans second degré de lecture, on en arrive à ne plus pouvoir accepter ce qui sort quelque peu des chemins battus. On a vite fait de prendre l’ironie pour du cynisme, du recul sur soi pour de l’arrogance, de la lucidité pour de l’aigreur. On a vite fait de ne voir que de la noirceur là où se cache un humour triste. Ce que l’on appelle de la satire.

Car Pascal, Vous permettez que je vous appelle Pascal ? Il y a chez vous une moquerie acerbe des autres comme de vous-même, une noirceur amusée et parfois narquoise sans complaisance ni autoflagellation. Si le fouet est solide, autant en faire profiter autrui.
Votre ancien collègue de label, Arnaud Michniak, disait dans Mon Cerveau Dans Ma Bouche (2000) de Programme auquel II/III fait parfois écho :

« C’est le disque de quelqu’un qui sait et qui n’en retire aucune fierté
Parce que la vérité distribue la honte
Honte d’être minable égoïste et sans projet
Si ce n’est celui de continuer à cultiver la seule chose qui ait porté ses fruits :
L’idéalisme

Ce disque est son fruit
Et aussi la preuve que je suis égoïste et minable
Et aussi une grosse merde
Tous les disque sont de la merde
La seule chose qui n’est peut-être pas de la merde
C’est de savoir apprécier le silence« 

Chez vous, cher Pascal, il n’y a aucune certitude ni d’envie d’épargner quoi ni qui ce soient, que ce soient Paris, La Province, Jeanne Moreau ou l’intouchable Daniel Darc… Est-ce d’ailleurs si irrespectueux que cela, est-ce si insultant que cela ?

Ce que l’on ne peut assurément pas vous enlever, cher Pascal, c’est votre force d’écriture, votre scansion et votre prosodie. Je ne vous remercierai pas d’exister ni encore moins de résister. Comme Mark Kozelek, vous jouez avec les contraintes de l’espace-temps entre minuscules images et dilatations de micro-événements.  Comme feu le docteur Destouches, vous cassez la ponctuation et la narration pour en faire une forme d’éructation.

Et de parler de l’Europe comme d’une belle grande idée morte-née peut-être ? On n’en sait rien, c’est ce que l’on nous dit de penser… Et si Bruit Noir combattait les idées reçues en les martelant encore et encore comme pour mieux en mettre en évidence tout le ridicule ?

« Tout est débroussaillé
Comme les poils des sexes,
le monde entier est épilé« 

Mais au milieu de tous ces sarcasmes qui n’épargnent personne et surtout pas vous, cher Pascal, il y a ces petites merveilles placées-là certainement à raison et belle intention comme Romy, Partir ou Adieu sur I/III. Faut-il voir de la pudeur, du calcul ou les deux à la fois à placer ces moments de beauté au milieu d’un torrent de boue épais ? Faut-il y deviner une belle intelligence à savoir jouer du contraste ? Car à force de malaxer l’acide, on prend ces espaces de torpeur comme des instants d’abris.  Pudeur, diront certains, M.Bouaziz… D’autres disent que vous vous « muratisez » (pour Jean-Louis) mon cher Pascal… Assurément, c’est par ce contraste entre colère et douceur amère que se révèle la beauté de titres comme Romy.

Je viens de voir, cher Pascal, que vous notiez les chroniques des uns et des autres, les blogs à ta soeur d’un 3,5/5 équitable. Je ne vous remercierai pas d’exister ni de survivre, je ne vous écrirai pas encore une chronique à deux balles pour un disque à la one again… Je vous écris juste ces quelques mots pour venir aux nouvelles dans ce monde éteint ou sur le point de s’éteindre…

Pour l’heure et avant que l’on soit tous dans un demain pour tous crétins, je me plais à me dire qu’il existe un peu d’intelligence et de huitième degré dans la poésie urbaine de Bruit Noir, loin des excès de vitesse en dessous des panneaux à 80, une lucidité crachée à la face des vérités à cinq cents d’euros…

Cher Jean-Michel et cher Pascal, je ne vous remercierai pas pour ce disque ni pour quoique ce soit, je continuerai plutôt à cultiver mon regard à votre sensibilité et à votre oeuvre-miroir, à votre crachat à la face, un geste brutal mais salutaire.

Greg Bod

Bruit Noir – II/III
Label : Ici D’Ailleurs
Sortie le 01 février 2019