Ecoute la ville tomber ou le récit d’une génération désenchantée

Dans une ville en mutation, en voie de déshumanisation, des trentenaires londoniens en plein chaos intérieur se débattent pour vivre et réaliser leurs rêves. A l’occasion de sa sortie en poche, découvrons cet uppercut littéraire délivré par Kate Tempest !

Tempest Kate
photo © Alex Gent Jacket Shot

Premier roman multi récompensé de la poétesse et rappeuse anglaise Kate Tempest, Ecoute la ville tomber brosse le portrait de jeunes gens meurtris par une société contemporaine de plus en plus excluante.
Dès les premiers mots un flow de courtes formules, tendu, nous saisit. L’auteur décrit quasi cliniquement une époque, notre époque : « Les gens se remettent à tuer au nom de leur dieu. L’argent nous anéantit. Leur solitude est si totale qu’elle sous-tend chaque amitié. » La fuite des protagonistes fait office de prélude à ce roman. Pourquoi, pour où ? L’issue de cette histoire délivrera une réponse ou pas…

ecoute la ville tomberCome-back un an plus tôt. Lors d’une fête organisée pour le lancement d’un clip d’un dénommé Marshall Law, nous découvrons les deux principales héroïnes Becky danseuse de profession accessoirement masseuse, et Harry l’androgyne dealeuse.
Attirées comme des aimants l’une par l’autre, les deux femmes lèveront le voile au cours de cette soirée sur certains de leurs mystères. Harry touchée en plein cœur par « cette bombe à fragmentation » qu’est Becky évoque son rêve de créer un café-restaurant avec comme idéal la création de lien social. Vendre de la drogue n’étant qu’un moyen de s’affranchir, d’acquérir sa liberté.
Gravitent autour de Becky et Harry d’autres personnages. Parmi eux Leon meilleur ami d’Harry souvent en lisière de l’action tout en étant un pilier protecteur ;  Pete petit ami de Becky par ailleurs frère d’Harry, un être enlisé dans des turbulences émotionnelles néfastes.

En toile de fond de ce roman, les excès et dérives du capitalisme, une « ultra-moderne solitude » pour des jeunes gens installés en lisière de métropoles, « aux confins du monde ». Un monde qui leur ferme la porte. La charge est plutôt juste, sèchement décrite.
Kate Tempest s’empare du sujet avec un verbe puissant, une voix convaincante. Si le propos peut paraitre ultra pessimiste voire désespérant, les rêves puissants de Becky et d’Harry maintiennent l’espoir d’une vie meilleure et la réinvention d’une existence jusqu’alors malmenée. La résilience n’est pas loin.
On espère retrouver rapidement la plume de Kate Tempest, après ce premier opus très réussi. Elle est également l’auteur d’un recueil de poésie Brand New Ancients qui a été traduit (L’Arche Editeur) ainsi que d’une pièce de théâtre Wasted. Son dernier album de rap s’intitule Let them eat chaos  sorti en 2016.

Pour ressentir toute la force de ce roman, je vous invite à en écouter les premières phrases lues par Kate Tempest lors de son passage à la Maison de la Poésie en 2018 : Ecoute la ville tomber

Sandrine Mocquet

Ecoute la ville tomber
Roman anglais de Kate Tempest
Traduction de Madeleine Nasalik
411 pages – 9€
Editeur : Payot / Rivages
Paru en poche le 3 avril 2019 chez Rivages poche