Felicia Atkinson – The Flower And The Vessel

A l’écart du monde et de sa frénésie, la discrète Felicia Atkinson continue de construire lentement une oeuvre qui ressemble finalement en bien des points à une sorte de dialogue aventureux avec le silence. The Flower And The Vessel, son nouveau disque en partie en collaboration avec Stephen O’Malley de Sunn O))) en est encore une fois la preuve.

La menace peut parfois sortir d’une matière sourde, impalpable, quelque chose d’organique, d’utérin… Un imperceptible malaise que l’on ne saurait ni expliquer, ni définir. Il n’y a guère que la musique pour parvenir à traduire ce maelstrom de sentiments contraires et opposés. A partir de peu de choses, de boucles et de murmures, Felicia Atkinson nous déroute pour mieux nous recentrer sur The Flower And The Vessel.

Imaginé durant la grossesse de son auteur, The Flower And The Vessel ressemble à un dialogue possible entre une future mère et l’enfant à venir, une anticipation d’un peau à peau, de la rencontre d’un être avec son extension. En peu de choses et plus encore, Felicia Atkinson interroge le lien à travers des boucles, des drones lancinants en suspension. Pour pousser un peu plus loin la réflexion, Felicia Atkinson décrit The Flower And The Vessel non pas comme un disque sur le fait d’être enceinte mais d’un disque constitué de ce que l’on ressent durant la grossesse. Et si finalement chacune des notes que l’on entend ici n’étaient là que pour traduire cette ivresse du corps, cette perturbation de l’image de soi qui lentement transforme une femme en mère ? Bien plus qu’un dialogue avec l’enfant à venir, The Flower And The Vessel est le soliloque d’un être à tous les êtres qui l’ont constitué, le constituent et le constitueront. Comme toujours avec Felicia Atkinson, on ne reste pas à la lisière du détail, on rentre au-dedans, on pénètre la matière organique et amniotique. Shirley To Shirley installe par exemple cette douceur malaisante, quelque chose qui ressemblerait à ce qu’entendrait l’embryon dans l’obscurité sous la peau.

Organique, la musique de la dame l’est assurément, sans aucun doute magnifiés par ces field recordings discrets enregistrés aussi bien en Tasmanie que dans le désert du Mojave. L’usage de ces sons ici est purement factuel car leur seule nécessité est de nous réinstaller dans une temporalité de la réalité. Felicia Atkinson n’hésite pas à brouiller les pistes entre confort et insécurité comme sur le dérangeant You Have To Have Eyes et ce murmure comme une « réponse autonome sensorielle culminante ». Felicia Atkinson dérègle la tonalité et la dissonance mesurées par un Gong, un vibraphone ou une Marimba, un peu comme si un Monte Layoung rencontrait un Moondog cachexique et phtisique.

A y regarder de plus prés, on y devinera peut-être quelques ombres des Gymnopédies de Satie ou plutôt ses Embryons desséchées (1913), L’enfant et les sortilèges de Ravel ou La Mer de Debussy. Felicia Atkinson semble en permanence et dans chacune des pièces qui constituent The Flower And The Vessel  tiraillée entre une tentation d’académisme et de classicisme pour mieux venir détruire cet édifice fragile de papier d’une volonté plus expérimentale mais jamais hermétique.Plus le disque avance et plus on s’installe dans un rapport plus limpide face à cette inquiétude, on comprend vite que cette présence menaçante ne nous veut pas de mal, elle ne souhaite que nous mettre en garde de nous-mêmes. Peut-être aussi nous rappeler que nous habitons des écorces corporelles. Ecouter les pièces vagabondes de Felicia Atkinson, c’est traverser un instant sensoriel, retrouver la perspective de l’espace qui nous entoure.

En clôture, Des Pierres en collaboration avec le guitariste de Sunn O))) Stephen O’Malley installe sur la durée une émotion paroxystique et paradoxale, à la fois faite de douleurs et d’immenses joies, pareil à la délivrance d’une naissance. Ici la collaboration ressemble en bien des points à une relation cannibale où chacun se nourrit de l’un et de l’autre pour mieux annihiler sa propre unité et devenir une entité bicéphale inédite.

Il ne sera pas toujours aisé de rentrer dans The Flower And The Vessel mais une fois, pleinement accueilli, il sera plus difficile encore de le quitter et on y reviendra comme on retourne toujours aux bras premiers.

Greg Bod

Felicia Atkinson – The Flower And The Vessel
Label : Shelterpress
Sortie le 05 juillet 2019