Haut Perchés : Ducastel et Martineau auscultent les tourments amoureux

Paris une nuit. Un appartement réunit 4 hommes, 1 femme, et un inconnu caché. Une rencontre inédite est organisée afin de régler son compte à l’amant, décrit comme un véritable pervers narcissique. Ce conte des temps modernes propose un pitch digne d’une comédie de boulevard mais trouve une singularité plus désenchantée.

Haut Perchés photo
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Olivier Ducastel et Jacques Martineau, duo iconoclaste, auteurs de la remarquable comédie musicale Jeanne et le garçon formidable (1997), du brillant Nés en 68 (2008), du poignant L’arbre de la forêt (2008) et de l’épatant Théo et Hugo dans la même bateau (2016), reviennent trois ans après avec cette chronique contemporaine autour des relations amoureuse toxiques. Après la ferveur horizontale du précèdent film, dont l’intense scène introductive m’avait diablement fait vibrer, les réalisateurs cette fois-ci convoquent d’entrée la verticalité avec ce logement perché au 28e ciel parisien, d’où l’on distingue la Tour Eiffel (à l’architecture phallique), avant de nous plonger dans ce logement esthétiquement épuré, décor de la débandade.

Haut perchés affiche filmLes réalisateurs optent, à l’intérieur de ce huis-clos intimiste, pour l’exercice du théâtre filmé, respectent l’unité de lieu et de temps et s’emparent de l’espace par le biais de cadrages méthodiques pour mieux dévoiler la pièce dans laquelle va se dénouer les drames personnels. Sous les néons, l’atmosphère ultra-stylisée, colorée de teintes « rainbow flag » enveloppe un à un les protagonistes qui errent dans la pièce en silence. L’atmosphère muette se brise par le premier mot : « tendu ». L’environnement artificiel est planté, les verres se remplissent, les convives s’apprivoisent avant de s’installer pour manger autour d’une table ronde pour une rencontre au sommet. Un G5 d’êtres impuissants face à leur miroir. Le menu de la nuit doit aboutir à l’affranchissement de tous, vis à vis de celui qu’ils traitent de « malade » ou de « pervers », après que chacun, à tour de rôle, pénètre la porte d’une chambre isolée du reste de l’appartement, afin de crever individuellement l’abcès ou d’exorciser les plaies, face au démon qu’on ne verra jamais. Point de droit de veto, ici chacun est libre de dire et faire comme il l’entend, et tout ce qui se passe pendant l’entrevue dans l’isoloir avec le « monstre » reste secret. Cette pièce restera toujours à contre-champs. Ce procédé perturbe notre conception cinématographique et agit sur notre imaginaire, laissant libre court à nos extrapolations, alors que la réalisation va s’évertuer en dehors de ce parti pris à multiplier les points de vues.

La narration théorique s’articule essentiellement autour de dialogues descriptifs pour dévoiler ainsi chacun des liens ou fantasmes sexuels que les amoureux ont pu vivre ou subir auprès de ce séduisant manipulateur. Les débats parfois ludiques ou anxiogènes trouvent des respirations plus ou moins réussies, à travers des danses libératrices ou des chansons tantôt mélancoliques, tantôt enfantines.
Certaines évocations sous forme de braises raniment les fêlures, déstabilisent l’assemblée, provoquent des frictions et interrogent sur la perversité amoureuse. Et si l’amour en définitive n’était-il pas la plus grande des perversions ? Le spectateur sert de témoin confesseur mais petit à petit s’implique également par rapport à ses propres expériences et ses agissements au sein de ses relations de couple. Le récit au rythme invariable offre un tango de confessions redondantes des désillusions amoureuses avec cet amant maudit, une veillée funèbre en groupe pour renaître ensemble de ces cendres. Cette inégale partition de mots sonne comme une symphonie d’un nouveau monde pour ce club des cinq, prêt à quitter cette nuit cathartique pour retrouver l’aube de façon plus sereine, alors que le loup va rester définitivement dans sa « bergerie »…

Une fragile plongée dans l’auscultation des tourments amoureux servie par des interprétations sensibles, mais pas toujours convaincantes pour nous séduire complètement.
Venez constater à quelle hauteur vous situez vos exigences face à l’amour, et si vos désillusions proviennent d’un amour malsain ou d’espoirs Haut perchés. Troublant. Bancal. Délicat.

Sébastien Boully

Haut perchés
Film français réalisé par Olivier Ducastel et Jacques Martineau
Avec Manika Auxire, Geoffrey Couët, François Nambot…
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h30min
Date de sortie : 21 août 2019