[Live Report] Patti Smith à l’Olympia : Paris is Burning !

Nous ne nous attendions certainement pas à retrouver une Patti Smith aussi engagée, aussi véhémente que celle qui a enflammé l’Olympia mardi soir. A 72 ans, cette icone du punk rock poétique et politique reste toujours indispensable.

1975 : L’intro stupéfiante de Gloria, et – enfin – notre monde bascule. Après le Velvet, après Bowie, il y a enfin une relève, et on sent que le vieux monde des dinosaures du Rock – les Stones, Led Zep, le Pink Floyd, bref tous ceux que, triste ironie de l’histoire, les jeunes du XXIe siècle vénèrent – est en train de prendre un coup de vieux. La photo de Mapplethorpe, les références à Rimbaud et Dylan : une nouvelle mythologie naît. Comment pourrait-on jamais oublier Patti Smith ?

2019. Soit 44 ans plus tard. Toutes nos illusions ont fondu comme les glaciers sous le réchauffement climatique, et on a du mal à se souvenir de la dernière fois où quelqu’un a prétendu changer le monde – ou même simplement changer UNE personne avec sa musique. Sans doute est-ce pour ça que nous sommes à l’Olympia ce soir, au milieu d’un public qui, c’est assez réconfortant, n’est pas entièrement grisonnant : non pas pour la nostalgie, mon dieu non, car on sait bien que la nostalgie n’a jamais produit d’Art digne de ce nom, mais pour la FOI. Pour la combativité dont nous avons encore plus besoin aujourd’hui.

20h30 : Elle est là, notre Patti Smith : 72 ans, longue chevelure blanche, le visage d’un vieux et noble chef indien et le corps et l’allure d’une rockeuse, en noir et blanc, parfaite. Son « band », c’est avant tout le fidèle Lenny Kaye, le fidèle des fidèles, qui restera toute la soirée très proche d’elle : il a peut-être moins bien vieilli qu’elle, et la même longue chevelure blanche est déjà plus la marque de l’âge qui gagne du terrain. Les trois autres, on ne les connaît que peu, ils seront efficaces tout au long de l’heure quarante du set, mais, n’ayons pas peur des mots, ils ne comptent pas réellement.

People have the Power, ce morceau-hymne un peu en deçà de ce qu’est la grandeur de Patti, est une ouverture logique. Car elle a un message à délivrer ce soir, Patti : plus de temps à perdre, il nous faut nous libérer de nos chaînes – dont la technologie qui nous occupe les mains -, reprendre le pouvoir pour stopper la fin de tout qui se dessine. Face à l’urgence climatique, se rassembler, dans un monde où chacun à sa place. Évident ? Pas si facile à faire ? Bien sûr, bien sûr, mais le rôle de Patti est d’allumer la flamme, de nous conduire sur les nouvelles barricades que nous devons dresser. Patti, c’est la « liberté guidant le peuple », et sa voix, incroyable ce soir, est une clameur à elle seule. Et Paris est « sa place ». A la fin, un ami nous confiera que, un mois plus tôt, Patti n’avait pas cette force à Londres : Londres n’a jamais brûlé, n’en déplaise au Clash, comme Paris. Et ce soir, l’Olympia, ce mélange de tous âges et toutes convictions, va brûler pour Patti, avec Patti.

Ghost Dance bat le rappel tribal de nos morts, et il est difficile de ne pas en avoir les larmes aux yeux, ou les cheveux dressés sur la tête : « What is it children that falls from the sky? / Tayi, taya, tayi, aye, aye ». On voudrait déjà que ça ne s’arrête jamais, c’est tellement beau. Nous dansons dans la poussière de nos défaites, car nous savons qu’à la fin, nous vaincrons. Oui, Patti nous conduit sur le sentier de la guerre, et nous la suivons. « We shall live again… ».

Mais Patti est aussi une fan, qui célèbre comme toutes les fans ses Grands Anciens : Hendrix (Are you Experienced?), les Stones (I’m Free, contre les murs qui nous séparent, et aussi dédié à Neal Casal, qui s’est suicidé ce jour même… permettra à Lenny Kaye de prendre le lead), Lou Reed (Walk on the Wild Side), Neil Young (After the Gold Rush, ce chant prémonitoire sur les affronts à Mother Nature, dans une version qui ne rend pas un point à celle du Loner…). La curiosité vient de la reprise fervente et hantée du Beds are Burning de Midnight Oil, dont le texte militant va comme un gant à Patti… même si elle se perd à un moment dans les paroles : tout l’Olympia est debout, parterre comme balcon, on le sait bien tous qu’il n’est plus possible de dormir. Que ferons-nous pourtant de différent en rentrant chez nous ce soir ?

Mais la set list est évidemment surtout riche de ces chansons intenses, uniques, qui ont plus marqué notre inconscient que nous ne voudrions bien l’admettre : car si les albums de Patti, une fois passée la réussite des quatre premiers, ont été reçus dans l’indifférence générale, des merveilles comme Dancing Barefoot – les larmes qui montent aux yeux, encore… – ou Free Money, dont Patti explique qu’elle a été écrite pour sa mère, mais dont elle foire le début et qu’elle doit recommencer, sont désormais inscrites dans notre ADN.

Physiquement, on peut se rendre compte que Patti commence à faire son âge : l’envolée de Free Money l’oblige clairement à faire quelques pas en arrière pour reprendre son souffle. Vocalement, par contre, elle n’a jamais chanté aussi fort, aussi haut, aussi clair, de cette voix de stentor qui appelle à la rébellion.

Le dernier morceau du set est évidemment le très attendu Because the Night, dédié à Fred Sonic Smith, l’Amour, pour toujours… qui pourtant ne nous emportera pas comme espéré. Un peu trop convenu, sans doute… Pas de problème néanmoins, car le meilleur reste à venir.

Le meilleur, ce sera le rappel, absolument superbe, l’incantation magique, survoltée, de Land, dont Patti a « réécrit » les paroles pour en faire un avertissement glaçant : ce que Johnny voit désormais au cours de son trip halluciné, c’est la fonte des glaciers, l’effondrement de la planète. Le crescendo intense de la seconde partie de Land permet au groupe de briller enfin, loin de la virtuosité un peu facile dont il a fait preuve parfois, et Patti se surpasse, pythie tranchante et implacable… Et c’est Gloria qui émerge du chaos, pour le plus grand plaisir de tous. Ça saute de partout, et à côté de moi, une petite fille éberluée contemple ses parents qui pogotent le poing dressé. Naïf, ce combat ?… riront sans doute les cyniques. Pourtant, pourtant, quand Patti crache finalement cette phrase superbe, ce défi fondamental : « Jesus died for somebody’s sins… by NOT MINE! », comment ne pas la remercier de savoir, de vouloir aussi, nous rappeler encore et toujours notre devoir de liberté ?

A un moment de cette soirée réussie au-delà de toutes nos attentes, un spectateur a défié Patti : « Lis-nous de la poésie, Patti ! ». « Mais, c’est TOUT de la poésie, mec ! », a-t-elle rétorqué, du tac au tac. On ne saurait mieux dire.

Texte et photos : Eric Debarnot

La setlist du concert de Patti Smith :
People Have the Power (Dream of Life – 1988)
Ghost Dance (Easter – 1978)
Redondo Beach (Horses – 1975)
Are You Experienced? (The Jimi Hendrix Experience cover) (with riffs of “Manic Depression” and “Third Stone from the Sun”)
My Blakean Year (Trampin’ – 2004)
Dancing Barefoot (Wave – 1979)
Beds Are Burning (Midnight Oil cover)
Beneath the Southern Cross (with instrumental of The Beatles’ “Within You Without You”) (Gone Again – 1996)
I’m Free (The Rolling Stones cover) (Lenny Kaye vocal, with 2 verses of Lou Reed’s « Walk On The Wild Side » – Tony Shanahan vocal.)
After the Gold Rush (Neil Young cover)
Pissing in a River (Radio Ethiopia – 1976)
Free Money (Horses – 1975)
Because the Night (Easter – 1978)
Encore:
Land (Horses – 1975)
Gloria (Them cover) (Horses – 1975)