Festival du Film Francophone d’Albi (5e jour)

Dernier volet de notre journal de bord pour le Festival du Film Francophone d’Albi Les Oeillades. Au programme le palmarès, Lola vers la mer de Laurent Micheli, Sympathie pour le diable de Guillaume de Fontenay, Les Éblouis de Sarah Suco.

Lola vers la mer : Photo Mya Bollaers
© Les Films du Losange

Albi ne fait pas le moine ! C’est dans une tenue décontractée que les festivaliers et les notables de la région sont venus assister à l’annonce du palmarès par Monique et Claude Martin, couple moteur de ce convivial et enthousiasmant festival, avant la projection en avant-première de l’olfactif et tendre Les Parfums (2020) de Grégory Magne.

Prix du Public du Long Métrage : Lola vers la mer (2019) de Laurent Micheli (sortie le 11 décembre 2019)
Prix du Public du court-métrage : Kilt (2019) de Rakel Ström
Prix du Public des jeunes collégiens : Hors Piste (2019) de Léo Brunel, Loris Cavalier
Prix de la meilleure affiche : Tout ce qu’il me reste de ma révolution (2019) de Judith Davis

Diffusé samedi soir, Lola vers la mer de Laurent Micheli a mis donc la fièvre au sein du public albigeois et sort grand vainqueur à l’applaudimètre de ce festival riche en émotions. Voir la maire d’Albi remettre le superbe trophée à l’actrice transgenre Mya Bollaers démontre décidément toute la force de cette manifestation pas comme les autres, car chaque année elle ouvre le champ de toutes les visions francophones.

Pour son deuxième long métrage, le réalisateur belge Laurent Micheli propose une histoire transidentitaire inédite. À l’occasion de l’enterrement de sa mère, Lola retrouve Philippe son père brisé par le deuil, et se confronte à nouveau à sa négation paternelle, par rapport à sa transition de devenir une femme. Ce père rejette profondément cette réalité, incompréhensible pour lui, et s’obstine même par déni à continuer de la nommer Lionel. Afin de respecter les dernières volontés de la mère, et de disperser ses cendres contenues dans une urne funéraire vers la mer, une cohabitation forcée s’impose. Sous la forme d’un road movie de résilience, l’histoire se décline entre maladresses et amertume mais sans jugement vis à vis des deux protagonistes, et pointe avec justesse la transphobie ordinaire. La mise en scène aux couleurs pop dès la générique inaugural capte la tension en clivant dans l’espace Lola et son père à travers un format 4:3, et scrute avec acuité la transformation du regard de l’un vers l’autre au fil des kilomètres. Une réalisation qui évoque l’influence formelle et situationielle du cinéma de Xavier Dolan et utilise aussi une superbe bande sonore structurée de morceaux de classiques et de tubes contemporains, pour envelopper de manière identitaire la complexité des tourments. Une œuvre émouvante, salutaire, portée par un magnifique duo de cinéma, composé par l’écorché Benoît Magimel et la véritable révélation lumineuse qu’est Mya Bollaers. Gageons que cette attachante et salutaire fiction mélodramatique, ode à la différence, inspirée par l’ouverture d’esprit et la bienveillance, permette de donner plus de visibilité aux minorités, et de changer définitivement le regard porté sur la communauté transgenre.
Le Prix du Public du Festival les Oeillades d’Albi 2019 apporte déjà une éloquente réponse positive, en attendant la sortie nationale le 11 décembre 2019. Afin que toutes les futures Lola ne soient plus jamais confrontées à l’amer…

Après le combat pour la liberté de l’esprit, revenons sur l’une des projections les plus intenses de ce dernier jour avec l’avant-première à la scène nationale d’Albi du remarquable Sympathie pour  le diable (2019) de Guillaume de Fontenay.

Pour son premier long métrage de fiction, le cinéaste québécois plonge le spectateur au cœur du conflit des Balkans pendant le siège de Sarajevo en 1992, à travers un portrait sans concession du reporter de guerre français Paul Marchand brillamment interprété par Niels Schneider.
Cette fiction s’appuie sur le livre éponyme publié en 1997 par Paul Marchand pour évoquer à travers une reconstitution très réussie du quotidien des sarajeviens pris sous les 330 bombes tombées du ciel en moyenne par jour et privés d’eau et d’électricité notamment. Le long métrage adopte le point de vue subjectif du journaliste sur place, observateur ulcéré face à l’inertie de l’Europe, l’impuissance coupable de la FORPRONU pour trouver des solutions malgré les horreurs dénoncées sur place – des milliers de mort rien que pour le siège de la ville – par de nombreux reporters qui ont risqué leur vie afin d’alerter l’opinion publique. Le cinéaste dresse également un portrait non hagiographie du journaliste dont les trajets en voiture – avec l’inscription « I am immortal » sur la carrosserie un brin provocatrice face aux snipers serbes juchés sur les collines autour de la ville – interroge sur le véritable prix du danger et sur son côté joueur avec la mort. Une œuvre puissante qui interpelle une nouvelle fois sur l’absurdité de la guerre avec une certaine efficacité, grâce à la sincérité de la mise en scène au format 1:33 et à  l’interprétation impeccable des acteurs afin de nous faire ressentir de manière viscérale le chaos et la colère. Passionnant. Puissant. Déchirant.

Pour terminer le tour d’horizon de cette dernière journée de projection petit coup de projecteur sur Les Éblouis (2019) de Sarah Suco. Une séance « Coup de cœur » complète pour accompagner chaleureusement la sortie nationale du film.

Les Éblouis s’avère être un effrayant et personnel récit d’émancipation, vu à travers le parcours d’une jeune adolescente qui va réussir à s’échapper d’un embrigadement sectaire vécu dans une communauté catholique. Ce long métrage débute de manière cocasse avant que sa narration bascule parfois trop brusquement dans certaines transitions, vers la folie tragique. Cette histoire vécue par la réalisatrice s’opère toujours du point de vue de la jeune héroïne, à travers une  mise en scène sincère mais parfois maladroite. Une œuvre sensible portée par un casting convaincant. Glaçant. Fragile. Nécessaire

Cette 23e édition confirme l’excellence et la richesse du cinéma francophone, et l’authentique place singulière du Festival d’Albi Les Œillades, à travers ses rencontres humaines marquantes, et dont ses perspectives futures nous font déjà saliver. Suite au prochain épisode, l’année prochaine !

Sébastien Boully