Pikku – 5 3 2 1 : Un retour vers un ailleurs

La polonaise Magdelana Stroj  sous l’alias Pikku signe un des disques les plus singuliers de 2019. Avec une voix enfantine, elle nous transporte dans un univers hors-normes. A découvrir d’urgence !

Pikku
© Caroline Ruffault

 

La musique de Magdelana Stroj n’est pas seulement singulière pour son grain de voix qui ferait passer Alison Shaw des Cranes pour une pâle copie du chant caverneux d’Andrew Eldritch (Sisters Of Mercy). Car Pikku  a bien plus à proposer que des comptines gentiment régressives.
La demoiselle s’amuse à échafauder des structures à la fois complexes et transparentes à l’image d’un Cosmo Shelldrake. Entre Pop, Folklore opiacée et dérives incertaines, la polonaise stimule notre curiosité, un peu comme si nous écoutions le rejeton étrange de Kate Bush, de la japonaise Piana et de Stina Nordenstam. Singulier et assurément envoûtant !

Comme sa voisine normande Lidwine de Royer Dupré, la polonaise plonge dans l’univers étrange de l’enfance et du conte. Le psychédélisme est ici volontiers enjôleur et féerique. Comme Lidwine de Royer Dupré, pour nous projeter dans un univers parallèle, Pikku use de tous les artifices en sa possession.

Comme vous l’avez lu déjà partout chez nos confrères du Net, Pikku en finnois veut dire Petit, mignon. De là à dire que la musique de Pikku est mignonne à croquer, il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas. Car il faut bien l’avouer comme dans un tableau de l’école naïve, il se cache dans les chansons de la polonaise peut-être bien plus de profondeur que l’on peut croire de prime abord. Ce qui frappe dès la première écoute, ce qui est remarquable de suite c’est le caractère incohérent de l’ensemble. La berceuse As Your Arms Unfold en ouverture qui hésite entre électricité et cauchemar pour se conclure en un accapella que ne renierait pas la Mesparrow des débuts, l’usage des cuivres en instruments rythmiques et le déploiement de l’inventivité percussive de la demoiselle sur Eggshells, cet usage des balles de Ping Pong qui ne sont pas sans rappeler l’Antipop Consortium d’Arrhythmia (2002), Heartbreak tout en tremblements et autres divagations à la manière de Naoko Sasaki (Piana) soit un concentré de sensualité espiègle et mutine, à la fois troublante et profondément dérangeante. On parlera aussi de la tension des seconds plans que ne néglige jamais la polonaise, parfois industriels, parfois plus académiques à la façon de Nuku Nuku tout en piano et susurré dans la langue de Yukio Mishima.

En habitante d’un monde multiculturel et au regard ouvert par-delà les frontières, Magdelana Stroj  chante en polonais, en anglais, en japonais et en français. Ce passage d’un langage à un autre est encore une preuve nouvelle de la volonté de Pikku à vouloir mieux nous embrouiller, à vouloir noyer le poisson, à vouloir nous faire boire la tasse, défaillir et plonger dans un autre état de conscience, une réalité parallèle, un monde à peine modifié ni plus beau ni moins laid. Non, ce serait juste l’angle du regard qui changerait, l’ironie désabusée dont on se délesterait un peu, juste un peu.

Pillow Sessions ranime les contours d’une chamber Pop,celle d’un Left Banke, la plus méconnue d’un immense groupe auteur d’un seul album en 1968, The United States Of America et peut-être plus particulièrement la mélodie blanche de Love Song For The Dead Che.
Le passage à la langue française le temps de Madame Raymonde, J’ai Connu La Neige et  Les Brou Brou Brou ne rend que plus troublant les ressemblances assurément involontaires entre l’univers de la Polonaise et celui de Lidwine de Royer Dupré.

Que celui qui devine dès la première écoute de Scarecrow mais aussi de l’intégralité de l’album que derrière cet alias de Pikku se cache une jeune femme de Sopot en Pologne soit distingué parmi ces pairs. Car le moins que l’on puisse dire, c’est que la musique de Magdelana Stroj n’aime pas rester au même endroit. Dessinant les traits d’une rivière de sa Pologne natale, elle se finit dans un océan incongru, peut-être indien dans un mayola nordique comme si Labelle prenait la tangente avec des bergers lapons sur Daj Mi Tego.Jednego. Si l’on devait décrire la musique de la polonaise à un inconnu qui nous surprendrait en pleine extase, le premier mot qui viendrait serait sans doute « surréaliste« , le second « déroutant« , le troisième « dérangeant« . Sans doute que cette addition de ces trois mots laisserait perplexe cet inconnu. Peut-être la musique de Magdelana Stroj irritera certains d’entre vous, peut-être vous dérangera-t-elle, ce qui est certain c’est qu’elle ne vous laissera pas indifférent. Sans jamais forcer les traits, elle instille une étrangeté difficile à nommer et même parfois à comprendre, ce qui la rend selon son auditeur immédiatement passionnante ou totalement hermétique. Un disque clivant mais singulier.

Et si vous partiez dès 5 3 2 1 dans un voyage immobile au but incertain avec Magdelana Stroj alias Pikku ?

Greg Bod

Pikku – 5 3 2 1
Label : La Folie Records/Inouie Distribution
Date de sortie : 15 novembre 2019