[reportage] Festival d’Angoulême : de l’air, du révolution’air !

Le Festival international de bande dessinée d’Angoulême vient de s’achever. Cette 47e édition aura été peut-être l’une des plus médiatisées, marquée par la venue du Président de la République, qui venait inaugurer l’année de la BD, et la mobilisation des auteurs pour défendre leur statut menacé.

Macron dans sa bulle

Macron est donc venu jeudi, mais n’aura pas pour autant fait d’apparition publique, protégé par ses vitres fumées et sa cohorte de CRS. Et pour cause… à l’annonce de son déplacement, les auteurs s’étaient particulièrement mobilisés pour faire entendre leur voix à propos de leur statut précaire. Ils sont venus chercher Macron, mais Macron est resté sourd à leurs appels, évitant scrupuleusement les bains de foules à risque, préférant s’assurer qu’on ne verrait que de belles images bien lisses à la télévision. Heureusement, les réseaux sociaux étaient là pour prendre le relais des grands médias lorsque ces derniers « omettaient » de montrer la réalité…

Les beaux indépendants

En ce qui me concerne, la moisson a été bonne, avec plusieurs nouveautés glanées au Nouveau monde, la bulle des défricheurs de talents. Il y eut aussi de belles rencontres et de chouettes dédicaces. Bonne nouvelle, Serge Ewenczyk m’a confié que Ça et Là allait mieux après une année difficile mais qu’il comptait beaucoup sur la sortie du prochain Backderf pour se refaire une santé. L’auteur de Mon Ami Dahmer étant très apprécié chez nous, on a donc toutes les raisons de rester optimiste. On serait vraiment triste de voir disparaître cet éditeur qui s’est donné pour mission de faire connaître des auteurs non-francophones.

Sarbacane, qui a décidément le vent en poupe, a présenté ses dernières sorties, qui semblent avoir le don de mettre les sens en émoi à tout bédéphile un peu tactile en raison de leur belle qualité éditoriale. Mais si l’emballage est magnifique, le contenu lui aussi est souvent passionnant… Une nouvelle fois récompensé avec le Prix Polar pour No Direction, après une année faste avec son prédécesseur Villevermine et Le Dieu vagabond primé à Quai des Bulles et acclamé par la critique. Félicitations, c’est amplement mérité ! Leur voisin Ici Même fait également de belles choses, et je suis ravi de les voir récompensés cette année avec Acte de Dieu, un ouvrage effectivement très audacieux… Parmi mes chouchous, il y a aussi Presque Lune, qui a déjà été remarqué par le jury angoumoisin en 2018 et 2019. De même, j’aime toujours autant visiter les stands de la Boîte à Bulles et d’Actes Sud. Ils ont de belles propositions qui m’ont fait succomber facilement, à commencer par la nouvelle star de l’éditeur arlésien, Révolution, sacré Fauve d’or 2020.

Belles rencontres et rendez-vous manqués

Le coin de table dédicacé de mon interview manquée

Encore de très belles rencontres cette année, avec notamment Aj Dungo, auteur très attachant de In Waves (Casterman) ainsi qu’Inès Léraud et Pierre Van Hove, les auteurs d’Algues vertes, une enquête édifiante publiée chez Delcourt. Je suis par ailleurs assez dépité d’avoir manqué Michel Rabagliati, l’auteur québécois des aventures de Paul, son double cartoonesque (La Pastèque). Très bêtement, car apparemment, nous étions tous les deux dans la salle de presse de l’Hôtel de ville au même moment. Pour l’attendre, je m’étais même installé sur une table en carton où avait été dessiné un petit crobard très fun par… Rabagliati lui-même, me disant que c’était de bon augure. Eh bien non, ce n’était pas du tout de bon augure, la preuve !! Du coup, j’aurais presque bien embarqué la table en souvenir de ce rendez-vous manqué, mais je ne dois pas être assez fétichiste… Une autre interview fut annulée avec Ludovic Debeurme, qui n’était pas très en forme. Quant à la dernière, avec David B., auteur d’un ouvrage sur André Breton, elle s’est fort logiquement soldée de façon surréaliste, avec la moitié de l’entretien coupée à l’enregistrement… David, recroisé plus tard lors d’une session de dédicace, m’a suggéré d’inventer la partie manquante. Je suis tellement flatté d’inspirer autant la confiance !

Invité de marque du festival, récompensé par un Fauve d’honneur, Robert Kirkman faisait l’objet d’une masterclass et d’une expo, la plus importante jamais organisée sur son œuvre, a-t-il confié, visiblement très flatté. Alors que vient de paraître l’épilogue de The Walking Dead, le scénariste américain a évoqué pendant une heure sa célèbre saga décrivant un monde post-apocalyptique où l’Homme doit apprendre à survivre au milieu des zombies. Il faut dire que les questions tournaient principalement autour de la série culte, même si Kirkman est également l’auteur d’autres productions (Oblivion, Outcast…), certes moins emblématiques.

Un concept nouveau : l’expo-zapping

Etant donné mon timing un peu serré, la plupart des expositions ont été menées au pas de charge, surtout dans les derniers moments où j’ai pu en voir quatre en à peine plus d’une heure ! Toutes étaient dignes d’intérêt, la plus vaste étant celle consacrée à Lewis Trondheim, ce modeste qui affirme en avoir accepté le principe uniquement parce que Thierry Groensteen le lui avait demandé. L’originalité de cette expo est que les murs ont été recouverts de nombreux graffitis de Trondheim, bon nombre étant des réflexions amusantes en forme de coups de gueule bien sentis, une façon pour cet auteur prolixe de prendre part à la révolte en cours dans le métier. De même, les expos sur Pierre Christin et Catherine Meurisse étaient plutôt consistantes, bénéficiant d’une belle scénographie. Quant à la rétrospective sur Calvo, je l’avais trouvée un peu maigre, mais après vérification, j’ai peut-être dû louper deux salles, la raison étant probablement le rythme d’enfer de mes pérégrinations artistiques de fin de séjour, ce qui peut paraître stupide j’en conviens…

Deux jours avant, j’avais pu découvrir le travail (de façon un peu moins sportive tout de même) du précité Kirkman, en m’attachant principalement à la partie Walking Dead. Une expo très pop-art avec mise en scène assez réaliste ! Flippant et sympathique. J’ai également tenté (et j’ai bien fait) la rétrospective consacrée à Yoshiharu Tsuge, un maître japonais du manga très peu connu en France, à l’occasion de la réédition d’une anthologie de sept volumes par l’éditeur Cornélius, qui a pu obtenir les droits. A travers les planches exposées, on découvre un bel univers, souvent onirique, un trait délicat et sensible, sans la violence des mangas plus récents. L’artiste, qui a toujours été un indécrottable pessimiste, sujet à la dépression, a décidé d’arrêter le métier vers la fin des années 80 et de vivre en reclus. Il n’en fallait pas plus pour que son histoire se fasse légende.

Puis, vint le moment où il fallait crever la bulle et tailler la route, direction plein nord vers la capitale, en pensant à ces quatre jours de suspension dans le temps, aux amis retrouvés dans un rituel annuel, à tous ces gens croisés dans les rues d’Angoulême ou dans les allées des tentes d’exposants : visiteurs, amateurs ou professionnels, parfois avec le sourire aux lèvres, juste heureux d’être là, parfois avec la rage au ventre mais des rêves plein la tête, tous unis, avec une certaine bienveillance, par cette même passion qu’est le neuvième art, sous toutes ses formes les plus diverses. Quatre jours qui font du bien, quatre jours passés dans ce hub vers les mondes imaginaires et les autres mondes, ceux à réinventer ou à transformer, bref, ceux qui riment (peut-être) avec « révolution »…

Laurent Proudhon