Birds on a Wire – Ramages : l’Art de la reprise

Rosemary Standley et Dom La Nena reviennent pour une seconde brassée de reprises de « chansons du monde » et leur Ramages dispense bien du plaisir… même si l’on aurait espéré encore un peu plus d’audace.

Birds on a Wire
Copyright Jeremiah

Tiens au fond, après deux (ou trois) millénaires qui ont vu l’humanité composer des chansons, pourquoi se donner la peine d’en composer de nouvelles alors que des milliers, voire des millions de mélodies et de textes parfaits sont disponibles, et pour la grande majorité d’entre eux quasi-oubliés, voire inconnus aux oreilles de l’humanité amnésique du XXIè siècle ? C’est peut-être ce qu’ont pensé Dominique Pinto, ou plutôt Dom La Nena de son nom de scène, chanteuse et violoncelliste d’origine brésilienne, et Rosemary Standley, la voix étonnante de Moriarty, quand elles se sont lancées dans le projet Birds on a Wire, dont ce merveilleux Ramages constitue la seconde production…

Birds on a Wire Ramages

A moins que, et ce serait encore plus noble, le fait de piocher dans des répertoires classiques, modernes, rock, bossa-nova, et de chanter en français, italien, espagnol, portugais,… breton (!) etc. ne soit à leur avis la meilleure manière de faire entendre la voix de la fraternité humaine dans notre monde de trumperies et de Brexiteurs, de constructeurs de murs et de hérauts de la haine ?

Placées sous le patronage de Saint Cohen – dont elles reprennent d’ailleurs ici le menaçant, et beau à pleurer Who By Fire –, nos deux autrices explorent pour la seconde fois un patrimoine musical universel – et non global, la différence est importante – dont l’incroyable diversité peut a priori dérouter, faisant a priori de Ramages plus une collection de chansons qu’un véritable album. Il semble que le choix des morceaux ait été avant tout purement émotionnel, et intime également, puisque Rosemary et Dominique racontent avoir pioché avant tout dans leur histoire familiale et personnelle. L’auditeur devra donc affronter, heureusement merveilleusement guidé par deux voix exceptionnelles, des ruptures de ton parfois inconfortables, des translations spatio-temporelles ébouriffantes, et aussi accepter que, en vertu des règles de l’art de la reprise, qui veut que l’appropriation complète prime sur la fidélité, il y ait sur Ramages de nombreuses surprises.

Et puis, comme dans tout ce genre d’exercice, il est impossible d’aimer aussi passionnément chaque titre… tout en réalisant que, plus on reviendra vers Ramages, plus on lui découvrira de nouveaux charmes. En tous cas, les premières écoutes mettent en avant la très belle relecture franco-portugaise du Amarelinha (la Marelle), chanson enfantine brésilienne « classique » de Nazaré Pereira, l’hommage frémissant à Buarque et Gil (Calice), la beauté inattendue du Wish You Were Here du Pink Floyd (voilà une mélodie simple mais vraiment touchante, une fois sauvée des vocaux médiocres de la bande à Waters), ou encore la sublime Que he sacado con quererte, le classique de Violeta Parra, dans une version cette fois plutôt proche de celle de l’inégalable Natalia Lafourcade. On aura quant à nous plus de mal avec le folklore breton ou catalan, dont la subtilité nous échappe encore, mais on admet bien que cet avis n’engage que nous !

Les différences notables entre les timbres de voix de Rosemary, plus dans l’aigu, quelque fois plus forcé, et de Dominique, plus soyeux, plus dans la sensualité, enrichissent formidablement la démarche de Birds on a Wire, alors que l’accompagnement musical reste uniformément discret et de bon goût. S’il y a finalement quelque chose qui limite un peu notre enthousiasme ici, c’est une certaine tendance à la joliesse, à la retenue : avec quelques orchestrations plus audacieuses, avec un zeste de brutalité pour secouer l’auditeur dans son confort, Ramages aurait pu être un grand album.

Eric Debarnot

Birds on a Wire – Ramages
Label : [PIAS] Le Label
Date de sortie : 28 février 2020