Moins célébré aujourd’hui que d’autres chefs d’oeuvre du génie absolu que fut Buster Keaton, Fiancées en Folie constitue pourtant un summum de folie burlesque, tout en soulevant – volontairement ou non – des questions fondamentales sur la société de son époque.

Seven Chances (Fiancées en Folie en français, un titre que l’on peut préférer pour une fois à l’original…) fut l’un des plus gros triomphes commerciaux de Buster Keaton, sans doute parce que ce que l’on voit à l’écran – sans parfois en croire ses yeux – dans la dernière partie du film – c’est-à-dire la foule des centaines de « prétendantes » envahissant d’abord l’église, puis pourchassant notre héros dans la ville, et enfin la sublime fuite du héros dévalant la montagne au milieu des éboulements – constitue certainement l’un des sommets de son oeuvre, et en tout cas l’une des grandes émotions dans la vie d’un cinéphile. Le génie – physique et de mise en scène, les deux se combinant ici à la perfection – de Keaton éclate dans toute sa beauté dans ces scènes, prodiges absolus d’énergie, de folie et de burlesque.
Mais, pour en arriver là, à cette friandise incomparable, il faut d’abord passer à travers une première partie du film basée uniquement sur le comique de situation, un domaine où Keaton est clairement moins à l’aise. Pourtant, ce volet de Fiancées en Folie est loin d’être inintéressant, comme portrait (… involontaire ? Pas sûr !) d’une époque où le racisme régnait sans partage et « naturellement » : il y a d’ailleurs dans le film un moment gênant où le personnage d’un domestique « noir » est représenté à travers la pratique du « blackfacing » et accumule des stéréotypes insultants de lenteur, de maladresse et de bêtise… Au delà de l’évidente description d’une société terriblement clivée socialement – matérialisée par la folie provoquée dans la ville par l’éventualité d’un « mariage arrangé financièrement juteux » -, c’est plutôt la recherche « désespérée » d’une moitié dans laquelle se lance le héros qui s’avère stimulante : au-delà des interdits, pourquoi pas une femme juive, une femme noire, un acteur travesti ? Il est difficile de savoir si ces transgressions possibles sont seulement source de rires – ce qui nous obligerait à classer le scénario comme profondément réactionnaire – ou si Keaton suggère par là l’éventualité d’une ouverture possible de la société américaine… Notre admiration pour lui nous donne envie de lui donner le bénéfice du doute : car lorsque les « fiancées en folie » déferlent sur la ville, on les voit s’approprier d’emblée les commandes des machines – de transport, de chantier, etc. – en expulsant les hommes de leur poste de contrôle.
C’est là une lecture passionnante d’un film qui n’a donc pas fini de nous étonner. Ni, bien sûr, de nous faire rire.
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Eric Debarnot
Seven Chances (Fiancées en Folie) (1925)
Film américain réalisé par Buster Keaton
Avec : Buster Keaton, T. Roy Barnes, Snitz Edwards, Ruth Dwyer
Genre : Comédie
Durée : 56 minutes
https://www.youtube.com/watch?v=j48STzkymtI&t=2090s
