Olivier Savaresse – Acapas

Dans l’ombre, loin du tumulte et de la Hype, Olivier Savaresse continue de construire une oeuvre un peu anachronique à mi-chemin entre la chanson française, quelques éléments issus du Jazz manouche, de l’orient et d’un esprit libertaire.

Crédit Photo : Bernard Baudin

En ces temps troublés où angoisse et frayeur font la loi dans nos esprits, plus que jamais il faut savoir écouter les artistes qui ont une vision empathique du monde, peu importe le registre dans lequel ils officient. On pourrait citer le trio anglais des Tiger Lillies qui s’empare avec malice de la psychose ambiante sur le dernier disque déployé en deux parties sur lequel on reviendra bientôt en ces pages, plus prés de nous, il y a l’ami Olivier Savaresse qui poursuit avec endurance le même chemin constitué de mots et de maux, de contestation douce et de contemplation onirique.

Entre carnet de voyages, aquarelles à peine tracées et confidences susurrées, Olivier Savaresse murmure au creux de nos oreilles de cette voix traînante, chaînon possible manquant entre Gainsbourg et Bertrand Belin. Moins sec, plus tendre et plus empathique que l’auteur d’Hypernuit, Olivier Savaresse nous fait une autre proposition artistique. Il y a chez lui une dimension éminemment sociale, quelque chose qui le rapprocherait plus de l’écriture cinématographique d’un Ken Loach ou d’un Stéphane Brizé, une envie peut-être à raconter l’inégalité sociale sans pour autant se lover dans une position misérabiliste. Et puis dans la musique de Savaresse, il y a également une large ouverture au monde comme sur Quelle Folie qui semble vouloir se faire confronter amicalement l’Afrique du nord et des souvenirs tziganes. On imagine aisément Olivier Savaresse furetant dans des disques Gnawa ou se perdant dans un bazar d’orient.

Point de frilosité chez Olivier Savaresse qui sait qu’il n’a rien à perdre, alors autant tout tentait. Qui vient chercher ici un disque qui le prend dans le sens du poil, une confortable et prévisible collection de chansons risque d’y  trouver bien plus. On pourrait rapprocher le travail du versaillais de ceux de Fred Signac, de ceux de Jean-Louis Bergère pour ce même refus à choisir entre des aspirations de littérature qui le rapprochent de cet univers un peu cloisonné de la chanson française et des libertés autorisées dans les grands espaces. Comme ses deux confrères cités ci-dessus, Olivier Savaresse constitue un univers un peu à part dans le paysage musical français, on le qualifierait même d’anachronique tant le monsieur semble se moquer de correspondre aux canons en vogue actuellement, à cet air du temps trop vite frelaté.

Moins sec et moins âpre que ses albums passés, Acapas se révèle être le disque le plus accessible d’Olivier Savaresse, le plus cohérent également avec quelque chose qui ressemble à un concept aussi bien d’un point de vue musical que du côté des paroles. Si l’on devait rapprocher Olivier  Savaresse d’autres musiciens, on ne pourrait que le citer lui-même. En effet, il y a chez lui une exigence d’écriture qui amène à une exacte exigence d’écoute de la part de celui qui découvre ses chansons. Il y a les disques immédiats et puis il y a ceux qui s’apprivoisent. Il y a donc les immédiats dont on se lasse parfois bien vite et puis il y a les autres qui deviennent des compagnons au long cours car ils conservent au creux d’eux-mêmes un je ne sais quoi d’indéfinissable, un quelque chose que l’on ne parvient jamais totalement à saisir.

Olivier Savaresse chante le temps présent, les craintes d’une société vues à la hauteur du peuple d’en bas comme disait l’autre. On trouvera sûrement un cousinage possible entre lui et le regretté Gianmaria Testa. Il chante la solarité comme l’écrivait Jean-Claude Izzo. Mais le regard d’Olivier Savaresse n’est jamais béat ou encore moins manichéen, il parle de vous et de moi avec une justesse et sait rendre justice aux petits moments du quotidien. Laissant de côté le vocabulaire contemporain, il n’hésite pas à saisir l’instant à coups de soli de guitare (Dans Ce Pays).

Et puis il ne faudrait pas oublier le formidable interprète qu’est Olivier Savaresse, campant différents personnages, passant d’un chant murmuré à une déclamation poétique ou à un spoken word d’une voix déformée. Où le chant, les mots et la musique deviennent des acteurs d’un cinéma muet. Entre déambulation cérébrale et vaguement abstraite (Les clés) et volonté de ligne claire (L’invitation), Acapas est un disque exquisement indécis, volontiers caractériel, souvent inattendu, joyeusement difficile à suivre, malicieux dans ses ruptures, libertaire au possible. n’hésitant pas à emprunter les traits d’un ethnologue ni à affirmer une voix politique dans ses chansons qui sont finalement bien plus que de simples chansons, Olivier Savaresse nourrit une ambition modeste, celle de prendre celui qui l’écoute comme un organe sachant et capable de réflexion.

Il y a aussi chez Olivier Savaresse une envie, une volonté, un besoin à revenir à un état premier, une forme de vie primitive d’avant les conventions, d’avant les habits qui nous emprisonnent, un retour à un état, à un paradis perdu peut-être.

Acapas finit par ressembler à ces grands carnets dans lesquels le voyageur vient jeter quelques croquis, quelques impressions, quelques billets d’humeur, une matière consommable de l’instant, une apologie de l’éphémère, on se perd avec délice dans cette étrange déambulation qui fuit entre nos doigts.

Greg Bod

Olivier Savaresse – Acapas
Sortie le 01 juin 2020
Label : Autoproduction