Qu’est-ce qui distingue un jeune groupe d’Outre-Manche soucieux de sortir de l’ornière de plus en plus périlleuse des citations post-punks ? Thee MVPs, à l’impressionnante réputation scénique, proposent des éléments de réponse avec leur album Science Fiction.
Il n’est pas facile de répondre aux critiques qui s’accumulent contre le Rock actuel, qui serait englué dans la nostalgie, peu imaginatif, et surtout fermé aux « innovations » apportées par le hip hop et la « pop commerciale » : comment ne pas nous-mêmes douter quand, semaine après semaine, s’accumulent les albums – certains excellents, là n’est pas la question – qui rejouent, même en le modernisant, en l’actualisant, un post-punk qui a désormais au moins quarante ans d’âge ! La situation paraît encore plus grave en Angleterre, voire en Grande-Bretagne : et si le Brexit et l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite des BoJo et compagnie correspondait à un repli général, sensible même chez la jeunesse, sur des « valeurs » musicales britanniques, dont le punk rock façon 77, la cold wave, etc. constituaient une sorte d’apogée ?
Il est donc rassurant de rencontrer aujourd’hui un jeune groupe comme Thee MVPs (Movement, Volume, Power, Speed, ou bien « Most Valuable Player » comme indiqué sur leur page Facebook ?) qui s’inspirent plus clairement d’un garage psychédélique d’obédience certes américaine, mais aujourd’hui sérieusement globalisé : même si le chant garde parfois de – d’ailleurs réjouissantes – tonalités punky millésimée (comme sur le réjouissant et presque pop A Song for Councillor, ou un You Ain’t It qui pourrait figurer sur la setlist des Hives), on sent bien tout au long de Science Fiction une tentative ambitieuse d’ouvrir leur musique à des ambiances plus variées, plus… universelles. De se laisser entraîner dans ce merveilleux tourbillon sonore qui caractérise les meilleurs groupes de la scène Rock mondiale actuelle : comme chez Oh Sees ou King Gizzard, voire chez Ty Segall, il y a ici, plus le disque avance, une recherche d’une richesse, d’une complexité qui sont parfaitement modernes, en phase avec notre époque où la musique est redevenue exploration, création d’ambiances et de concepts. Que Thee MVPs revendiquent également des inspirations kraut rock et métal est donc parfaitement rassurant, et laisse attendre une ouverture de plus en plus audacieuse hors des sentiers désormais bien battus du soi-disant post-punk…
Une autre preuve de l’ambition de Thee MVPs, à demi-dissimulée derrière un sens de l’humour clairement perceptible (à nouveau, visitez la page Facebook du groupe !) est leurs textes, qui développent des thèmes que l’on qualifiera donc de « S-F » – bien visibles avec des titres comme Hal ou A Pinning Replicant ! -, et les utilisent comme base d’une réflexion politique et sociale. Certes, ces ambitions sont parfois trop lourdes pour un groupe qui n’a pas encore atteint la maturité artistique, et l’album finit par s’enliser un peu dans un entêtement embarrassant, loin de l’enthousiasme fervent qui caractérisait les premiers titres, comme l’irrésistible appel à l’émeute de Ship Episode, Planet Episode : Funeral I And II et US Airways (Final Flight) ne sont pas aussi passionnants, et l’album qui frôle les 45 minutes aurait eu une plus fière allure ramené aux 30 minutes des 8 premières chansons…
Rien de grave néanmoins, surtout si l’on considère l’ébouriffante réputation scénique de Thee MVPs : les (re)voir en live en France constitue une autre excellente raison d’espérer un retour rapide des concerts sans masques ni distanciation sociale. Mais ça, ça reste encore du domaine de la Science-Fiction !
Eric Debarnot