Magic : 25 ans de pop moderne : souvenirs de lecteurs

Magic, la revue pop moderne vient de fêter ses 25 ans. On a profité de cet anniversaire pour demander à quelques lecteurs de longue date ainsi qu’à des artistes (Dominique A, Christian Quermalet…) d’évoquer un souvenir lié à ce magazine créé par Serge Nicolas et Philippe Jugé en 1995.

25 ans de magic revue pop moderne

Dans les années 90 et après, j’avais deux amours : les Inrockuptibles et Magic. Deux parutions, l’une hebdomadaire, l’autre mensuelle, qui se complétaient parfaitement pour nous donner un panorama assez complet de ce qui se faisait de mieux en matière de pop-rock indé, à une époque où Spotify, Deezer et Bandcamp n’étaient même pas des fantasmes, et où nos seules sources musicales étaient Bernard Lenoir, le disquaire et la médiathèque du coin. Car, il faut bien se rendre compte que dans les années 90 et à l’aube des années 2000, lorsque vous habitiez Épinal ou Nancy, la musique indé ça se méritait, et qu’il fallait bien un magazine comme Magic pour vous aider à construire votre culture indé, pour peu que vous la souhaitiez pointue et très étendue… Bon nombre de provinciaux (et d’habitants de métropoles régionales sans doute aussi) savent ce qu’ils doivent à Magic !
Même si internet est passé par là depuis, et a profondément bouleversé mes pratiques musicales, Magic est toujours resté un précieux complément à mes pérégrinations sur le Net. Aujourd’hui encore, il continue de jouer ce rôle indispensable, à la fois de guide et de complément aux blogs et à la presse en ligne. Car, bien qu’étant abreuvé chaque jour d’albums, de MP3, de liens streaming, de fils rss qui viennent garnir copieusement ma boîte mail, je continue de rester attaché à la revue papier, avec ce plaisir toujours intact de (re)découvrir des albums ou des artistes dans un format idéal et avec un confort de lecture comme seul un magazine peut en offrir.
Et si le numérique a quasiment pris toute la place aujourd’hui dans le milieu de la presse, il reste important à mes yeux que des parutions soignées, aussi agréable à lire qu’à toucher, perdurent et cohabitent avec les magazines numériques.
J’avais 25 ans quand Magic est né, aujourd’hui c’est la revue pop moderne qui fête 25 ans. Un quart de siècle est passé et des tas de bons souvenirs sont restés. Vivement le prochain numéro !

Maintenant, place aux souvenirs de lecteurs… anonymes ou célèbres.

Benoit RICHARD

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Pauline Drand (chanteuse, musicienne)

Il y a quelques années, j’habitais dans une petite chambre d’étudiant à Ménilmontant, et récupérais dans le magasin d’alimentation où je me rendais des revues laissées à disposition par d’autres clients, dont je me servais comme base pour faire des collages, et des encres avec un stylo japonais que l’on venait de m’offrir. J’ai ainsi ramené plusieurs numéros de Magic, qui me séduisaient par la qualité mate, et non glacée, du papier, idéale pour écrire et dessiner, ce que je faisais sur les articles et photographies, en laissant mon esprit divaguer. J’ai souvenir d’une interview de Dominique A, et d’une phrase sur les oiseaux que j’avais isolée et reproduite à l’encre noire sans réellement, je l’avoue, porter attention à son contenu, ainsi que d’un article sur Kim Gordon. En 2018, je sortais mon premier album Faits Bleus, chroniqué par la nouvelle rédaction de Magic, qui le mentionna à plusieurs reprises dans ses numéros, et me fit même l’honneur d’une pleine page dans un dossier sur les guitare héroïnes aux côtés des admirées Aldous Harding et Sharon Van Etten. L’idée que ces numéros puissent aujourd’hui  être déposés dans une boîte à dons, et récupérés par une jeune fille qui en découperait les pages, et couvrirait d’encre de chine les mots posés sur ma musique sans y porter attention, me séduit. Comme les livres que l’on griffonne, les coins de nappe sur lesquels on dessine au restaurant, j’aime l’idée d’un usage détourné et irrévérencieux des journaux, rendue possible par la matérialité du papier, et c’est qui fait, selon moi, toute la magie de la presse écrite et des publications papier.

Mathieu Marmillot (indépendant)

En ce mois d’octobre 2005, Magic RPM consacrait un Hors Série à Factory Records, avec en prime le DVD du film 24 Hours Party People qui relate les aventures comique de son guru Anthony Wilson. En cinq thèmes, Christophe Basterra revient sur l’histoire de ce label atypique à travers des interviews (Mike Pickering, Jeff Barrett) et une série d’articles passionnants ou se croisent Section 25, le KGB, The Wake, ou encore Rob Gretton et Manchester City. Avec en prime, une couverture digne de Peter Saville qui aurait méritée sa référence Fac.

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Peter Milton-Walsh – The Apartments (musicien, chanteur)

J’étais à Paris en automne. J’aime cette saison à Paris. Fin 1994, The Apartements jouaient 3 spectacles pour le Festival des Inrocks à Rennes, Paris, Lyon. Je répondais à cet exercice que je n’aime pas beaucoup, la promo pour New Rose, dans un petit hôtel du 6e arrondissement, rue du Cherche-Midi. Une rue parfaite, avec cette ambiance du Paris d’antan qui planait dans l’air. Le matin où je devais être interviewé par Christophe Basterra de Magic, je me suis réveillé avec les fenêtres de ma chambre d’hôtel ouvertes à la brise et j’ai regardé la rue. C’était une mer tourbillonnante de parapluies colorés. Paris sous la pluie, qu’est-ce qui pourrait être plus beau ? Je me suis rendu dans les bureaux de New Rose pour parler à un groupe de personnes. Christophe était l’un d’entre eux. Erick Viollet, le responsable de la promotion, s’occupait de moi comme un roi. Quand Christophe est arrivé, j’avais bu quelques cafés et un verre de single malt. Parce que j’étais toujours nerveux à l’idée de faire des interviews. Je n’étais pas loin de mes années de beuverie à la Richard Burton. Mais Christophe était gentil. Il voulait parler un peu de Drift, de Dusty et de Scott. J’ai fait du mieux que j’ai pu, mais j’avais déjà enregistré Life Full of Farewells à ce moment-là et c’était un disque très différent de Drift, donc j’avais l’impression de trahir un peu mon passé. Le label ne voulait pas que je mentionne le nouvel album. J’avais les chansons de Life Full of Farewells sur cassette et c’étaient celles-là qui me trottaient dans la tête , plutôt que celles du monde de Drift.
Je ne savais pas grand-chose de son magazine Magic, mais Christophe avait l’énergie et la passion d’un auteur de fanzine, toujours un plus pour moi. J’avais travaillé dans un magasin de disques quand j’étais plus jeune et certaines des personnes les plus intéressantes que vous rencontriez dans le magasin étaient celles qui écrivaient pour des fanzines. Des anticonformistes, des outsiders totalement branchés qui ont une vision originale du monde. Une fois l’interview terminée, Christophe m’a laissé deux exemplaires de Magic. Ils étaient plein de groupes dont je n’avais jamais entendu parler. Certains dont je n’ai plus jamais entendu parler. C’était aussi un bon signe pour moi. Il y avait beaucoup de magazines de musique qui traitaient principalement du consensus et lire ces autres magazines, c’était comme regarder un défilé de certitudes, on voyait toujours les mêmes noms. Magic semblait donc être un oiseau rare. Le lire, c’était comme se faire jeter un verre d’eau au visage. Elle était fraîche, avec l’inconnu, elle prenait des risques. Il y avait des étonnements dans cette musique qui a besoin de ce genre de démarche.

Humbert de Camembout (commercial)

Comme quelques uns, Magic est entré dans ma vie en 1996 ou 1997 quand les Inrocks en sont sortis. J’y ai trouvé des plumes de qualité, une maquette plutôt chouette, une soif de partager sa passion pour le rock indépendant anglo-saxon majoritairement. La presse écrite musicale a un rôle à jouer, encore de nos jours. Abonné quelques années puis à nouveau récemment, j’ai acheté la quasi totalité des numéros au kiosque de la gare. Parfois compliqué de le trouver en province. Je ne lis jamais intégralement un numéro à sa sortie, la périodicité de parution permet de prendre son temps, de picorer, faire des découvertes quelques semaines après la sortie des albums. La vie du magazine a été bouleversée et la maquette a évolué, avec notamment des chroniques plus courtes malheureusement, mais c’est tout de même le seul magazine culturel auquel je sois resté fidèle (j’ai abandonne Télérama depuis une dizaine d’années), ce qui ne m’empêche pas d’être un gros consommateur de divers blogs musicaux sur la toile. Je suis nostalgique de la qualité du papier et des grands entretiens et longues chroniques des Inrocks des années 90. J’aimerais que Magic reprenne ces idées.

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Jonas Bonnetta – Evening Hymns (musicien, chanteur)

J’ai tellement de souvenirs de Magic. Je me souviens d’être arrivé en France la toute première fois et de la présentation par Magic de nos spectacles à Clermont-Ferrand et à Paris. Christophe et Franck ont fait le DJ le premier soir à Clermont-Ferrand et on a ensuite un peu abusé de notre soirée, c’est peu de le dire ! Le lendemain, la route vers Paris a été rude. Nos voitures se croisaient sans cesse sur l’autoroute et je me souviens que les deux parties avaient l’air d’avoir un peu la gueule de bois. Nous sommes arrivés à Paris pour jouer pour la toute première fois et le spectacle était complet. Nous avons fait nos valises pour notre premier concert en ville grâce à l’amour que nous avions reçu de MagicRPM.

Christian Quermalet – The Married Monk (musicien, chanteur)

Depuis ses débuts, Magic m’a fait découvrir bien des artistes passionnant(e)s, de Tindersticks à La Féline, en passant par Connan Mockasin, Grizzly Bear ou encore Aldous Harding. Même si je n’y trouve pas toutes les musiques que j’écoute, ce que je lis dans ses pages me plait toujours beaucoup. Et puis il y a cette sincérité qui jamais n’a fait défaut au magazine: jamais de couverture “putassière” comme chez certains, une grande générosité (les soirées Magic !) et un sens aigu de l’éclectisme à l’intérieur même du monde de la pop. Un canard droit dans ses bottes !

Julien Schuers (vendeur de disques)

L’adolescent campagnard que j’étais est tombé presque par hasard sur le Magic Mushroom n°5, revue musicale qui m’accompagnera pendant 15 ans, rendez-vous d’abord saisonnier puis mensuel avec le changement de nom. Je me souviens que grâce à Magic, je connais les visages des Daft Punk qui ne sont encore que Darlin’ et que des adolescents. Je me souviens des CD promos, véritables objets de collection aux visuels hyper stylisés. Puis la musique est devenue mon travail et non plus un passe-temps, et Internet a tué la frustration de l’attente, les heures de recherches, les cassettes des copains et par là-même le rôle prescripteur de la presse. Jamais pendant ces 15 années je n’ai autant lu la musique, jamais je ne l’ai autant vécue que comme une quête personnelle, une construction humaine basée sur la curiosité et le manque, sur le plaisir et le savoir. Le plaisir de savoir. Et Magic y a grandement contribué. 

Kim Giani (musicien, chanteur)

J’ai deux souvenirs de Magic. L’un incongru, l’autre éditorial : Il y a, d’après moi, trois périodes à Magic. Je compte la première comme préhistorique, celle de Magic Mushroom. Puis la seconde, celle de Magic Rpm, puis la troisième lorsque la rédaction change du tout au tout, dans les années 2010.  Mon souvenir incongru est celui de la première fois où Magic Mushroom me donne rendez vous au téléphone. J’ai 15 ans, je joue dans un duo qui s’appelle « Kim&Marie ». La rédaction souhaite parler de notre cassette démo. Je suis tellement ravi et impressionné que j’appelle la revue, et lorsque quelqu’un décroche, je demande le magazine concurrent de l’époque: « Allo Prémonitions? » . « Non ici c’est Magic Mushroom ». Une boulette.  Mon deuxième souvenir est celui du jour où 27 personnes ont quitté là rédaction pour divergences professionnelles. Je n’ai jamais su ce qu’il s’était passé. J’adore cette équipe de journalistes et je les suis chez Section 26. Je ne connais pas encore le nouveau Magic. Je n’ai aucune animosité, je suis novice.

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Dominique A (musicien, chanteur)

Dans la seconde moitié des années 90, il y avait un groupe écossais que j’aimais beaucoup, Long Fin Killie, sur le label Too Pure. C’était un groupe doté d’un chanteur étonnant, Luke Sutherland, et avec une section rythmique assez atypique dans le son, avec notamment des batteries très touffues. Leur premier album, un petit trésor oublié, avait reçu un accueil plus que tiède dans les colonnes de Magic, au même moment où le premier Placebo était intronisé disque du mois dans le magazine. ça m’avait rendu fou. Alors quand quelques semaines plus tard, je croisai Philippe Jugé et Franck Vergeade à Paris, je les avais serinés avec ça: « Les gars, sans déconner, c’est pas possible… vous montez un sous U2 au pinacle, et vous descendez ceux qui font avancer le schmilblick…« . C’était comme ça à l’époque, on pouvait se monter le bourrichon pour des choses comme ça. Et c’est le premier souvenir qui me vient (il y en a d’autres, bien sûr), parce qu’il me rappelle à un temps où la musique me semblait faire l’objet de débats plus passionnés. Sans doute parce que nous l’étions plus nous-mêmes.