« Comédies françaises », un roman à tiroirs signé Eric Reinhardt

Éric Reinhardt propose avec Comédies Françaises un roman aussi touffu que déconcertant. Un livre d’une grande qualité littéraire qui en tout cas, et comme c’est souvent le cas chez cet auteur, ne devrait pas laisser le lecteur indifférent.

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Éric Reinhardt © Francesca Mantovani

Comédies Françaises est sans doute roman le plus ambitieux et le plus foisonnant d’Éric Reinhardt à ce jour. Il met en scène le personnage de Dimitri, un homme bisexuel, âgé de 27 ans – et qui d’ailleurs n’ira pas au-delà – qui décide de partir enquêter sur les traces d’un ingénieur français nommé Louis Pouzin, éminent personnage mais totalement oublié et qui fut pourtant l’un des pères d’Internet.

comedies-francaisesC’est à travers la lecture d’une brève parue dans le journal Libération en 2013 qu’Éric Reinhardt a découvert l’existence de Louis Pouzin. Alors que l’écrivain pensait comme tout le monde qu’Internet était l’invention des Américains avec le projet Arpanet, il découvre en réalité qu’un homme, un ingénieur français, dans les années 70, avait inventé le datagramme, une technique de communication qui préfigurait l’invention d’internet, mais que sous la pression d’un certain Ambroise Roux, fût écartée au profit du Minitel.
Sorte de double de l’auteur, Dimitri décide à la suite de cette découverte, de se lancer alors dans une vaste et ambitieuse entreprise journalistique afin de découvrir comment une telle chose a pu se produire. Et pour cela, il va devoir retrouver ce fameux Louis Pouzin.

Réduire Comédies françaises à cette simple enquête sur un des mystères les plus étonnants de la 5e République serait presque faire injure au roman imaginé par Éric Reinhardt étant donné que celui-ci révèle plusieurs niveaux de récit, plusieurs histoires, plusieurs romans presque pourrait-on dire, qui forment un ensemble dense et complexe dans lequel malheureusement on se perd un peu parfois.

Durant près de 480 pages on suit les nombreuses pérégrinations de Dimitri, ce jeune romantique idéaliste qui a souvent la trique et qui apparaît par moment agaçant de pédanterie et aussi plein de paradoxes, lui qui se dit atteint de prosopagnosie et qui pourtant pense reconnaître plusieurs fois une inconnue croisée dans diverses villes d’Europe. On l’écoutera évoquer son passionnant projet de livre mettant en scène Max Ernst et Jackson Pollock ou encore raconter à sa confidente, Alexandra, sa vie en tant qu’employé dans un cabinet de lobbying où il ne fit pas long feu pour des questions morales.

Alors oui, par moment il faut s’accrocher un peu pour suivre toutes ces histoires, d’autant plus qu’Éric Reinhardt s’autorise de longues digressions dans des pages qui paraissent sans fin, redondantes ou trop techniques, mais qui débouchent parfois sur des passages passionnants, des petits moments de grâce littéraire, souvent drôles, crus et décalés comme du Houellebecq et qui permettent alors d’oublier ce qui nous avait agacé quelques pages auparavant.

À la manière d’Aurélien Bellanger (La Théorie de l’information, L’Aménagement du territoire), Éric Reinhardt nous raconte de sa plume aiguisée et même parfois tranchante, avec moult détails et un point de vue par moment assez caustique, cette France de droite des années 70, sous Pompidou et Giscard, cette France des cabinets ministériels, de l’entre-soi politico-économique, incarnée notamment  par Ambroise Roux, personnage central du roman, lobbyiste convaincu, PDG de la CGE et surtout ennemi numéro 1 du projet de Louis Pouzin.
Une époque où l’on pouvait faire échouer la plus formidable des inventions du XXe siècle en matière de communication pour une question d’ego et d’intérêt personnel.

Benoit RICHARD

Comédies françaises
Roman français d’Eric Reinhardt
Editeur : Gallimard / Coll. Blanche
480 pages – 22€
Date de parution : 20 août 2020