« La fenêtre au sud », de Gyrðir Elíasson : l’être, la nature et le néant

Le journal des saisons d’un écrivain face à l’infini de la mer, face à l’infini de la vie. « La fenêtre au sud », de l’écrivain islandais Gyrðir Elíasson, un roman précieux et délicat.

 Gyroir-Elíasson
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Seul, au milieu des autres

Jonas est écrivain. Jonas vit dans une maison noire, à l’écart d’un village ou d’une petite ville au bord de la mer en Islande. Un village guère peuplé, hormis pendant les quelques semaines où arrivent des touristes et des estivants qui ont une maison de vacances. Le café ouvre. La librairie aussi. Il y a même une supérette. Mais Jonas ne fréquente guère les touristes. Il va peu au village. Faire des courses de base à la supérette, acheter un livre de temps en temps. Plus souvent, il s’installe au café pour écrire dans ses carnets – des choses qui lui échappent très vite. Mais Jonas ne parle pas beaucoup avec la libraire non plus – qui, il faut le dire, n’est pas causante et n’a pas l’air aimable. Il ne parle pas beaucoup avec la propriétaire du café – pas plus aimable. Ou même avec celui de la supérette. Jonas échange peu avec son prochain. Avec sa mère, de temps en temps au téléphone – mais les conversations sont rarement une réussite. Avec son éditeur – pour lui dire qu’il ne terminera pas son roman. D’ailleurs, Jonas allume peu son téléphone. Il écrit – des lettres qu’il ne poste pas. Il brûle celles qu’il reçoit – alors même qu’elles semblent être, on le devine, on le pense, d’une personne importante pour lui. Et quand il va en ville – à Reykjavik – Jonas s’enferme la plupart du temps dans son appartement pour boire.

Être au monde

Communiquer. Les autres. Le néant. L’enfer. Jonas écoute la radio. La radio qui lui donne des nouvelles du monde. Quel monde chaotique. Quelle violence. Comment être dans un tel monde ? Un monde si étranger, si lointain. Un réel si irréel …

Le cycle de la vie

La fenêtre au sud

Jonas a aussi des difficultés à communiquer avec les personnages du roman qu’il essaie d’écrire. Ils sont couchés côte à côte dans une chambre d’hôtel. En Turquie. Mais il ne sait pas quoi en faire. Quoi leur faire dire, leur faire faire. Ils restent couchés. Pourtant, Jonas s’installe tous les jours – ou presque – à sa table de travail, enlève le couvercle de sa machine à écrire et se met à l’œuvre – oui, Jonas refuse d’utiliser un ordinateur, ce qui est tout à son honneur mais peu pratique. Les touches lui échappent autant que ses personnages – le b en particulier. Les rubans s’usent et ce qu’il tape marque de moins le papier. Les lettres sont de moins en moins visibles. Le roman qu’il continue d’essayer d’écrire, jour après jour, face à la fenêtre au sud, laisse de moins en moins de trace sur le papier. Puis les poèmes remplacent peu à peu le roman. Et l’année – la durée de La fenêtre au sud – passe. Au rythme des nouvelles du monde, qui ne changent pas. Au rythme des saisons, qu’on sait immuables. L’herbe verdit. Les jours s’allongent. Puis raccourcissent de nouveau. Et l’herbe jaunit. L’hiver revient. Le cycle de la vie reprend. Jonas ne repart pas en ville. Il reste dans la maison noire, dans le village au bord de la mer. Seul.

Seul, face à la vie

Jonas reste seul face à la mer, face à cette étendue qui a l’air infinie. Loin du monde des hommes, de leur néant, de leur chaos. Jonas fait le choix de rester seul – après tout, n’est-on pas seul face à la vie ? Jonas fait le choix de la nature. Difficile de dire, toutefois, s’il se libère et s’épanouit. Il y a une tension dans le roman de Gyrðir Elíasson, très vite palpable, une difficulté à vivre, à créer, à se laisser même emporter par la contemplation – Jonas ne peut s’empêcher de noircir son carnet. Une sorte de malaise – qui ne provient pas que de la violence du monde. Un malaise intérieur, que Gyrðir Elíasson, le poète, sait rendre parfaitement dans une sorte de journal – dont les seules dates sont les noms des saisons.   Des phrases courtes. Quelques mots. Quelques lignes. Quelques dizaines de lignes. Des paragraphes qui font au maximum 2 pages. Une écriture simple et pure. Pas de fanfreluches ou de flonflons. Pas d’effusion. Pas de grands sentiments. On avance par petits pas, doucement, lentement, avec précaution. La fenêtre au sud est un roman précieux et délicat. Si précieux, qu’on a du mal à le laisser …

Alain Marciano

La fenêtre au sud
Roman Gyrðir Elíasson
Traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfsson
Editeur : La peuplade
18,00 €, 168 pages
Parution : 10 Septembre 2020