« Les Apparences » de Marc Fitoussi : Valse d’infidélités à Vienne

Dans la lignée du cinéma anti-bourgeois du regretté Claude Chabrol, Marc Fitoussi ne nous offre avec les Apparences qu’un thriller manquant autant de rage que d’émotion, et passant à côté de son sujet.

Les Apparences
Benjamin Biolay, Karin Viard – Copyright SND

Les plus vieux et les plus cultivés d’entre nous se souviendront d’une époque – les années 70, à la louche – où un Claude Chabrol en rupture de ban de la Nouvelle Vague s’attaquait avec une méchanceté aussi noire que rigolarde aux vices de la (grande ou petite) bourgeoisie française : on lui doit une succession de films qui, s’ils n’étaient pas tous des chefs d’œuvre (comme la Cérémonie, film plus tardif et l’un de ses derniers règlements de compte personnels avec les bourgeois), ont dignement représenté l’abjection d’une société confite dans sa suffisance, son mépris et son hypocrisie. Avec des pointures comme Michel Piccoli, Michel BouquetStéphane Audran, la dégueulasserie suintait grave. Le sexe adultérin et pas très joyeux finissait régulièrement par se diluer dans le meurtre, ce qui permettait à tous les bas instincts de ce joli monde en putréfaction de se libérer. La haine de Chabrol se déversait là aussi, et transformait ces films patelins en brûlots politiques dissimulés derrière des facéties de cancre bon-vivant… Et puis Chabrol a arrêté, il est même mort, et personne dans le cinéma français n’est plus allé se frotter à ce genre de choses, surtout quand l’opinion publique clamait qu’elle en avait assez de voir des films qui parlait d’adultère en milieu économique favorisé.

Les ApparencesTout ça pour dire qu’on accueille avec bienveillance la tentative de Marc Fitoussi d’écrire et de réaliser avec les Apparences un néo-thriller-classique reprenant un sujet et une démarche similaires. On regrette évidemment le choix d’un Benjamin Biolay, individu sympathique mais acteur limité (même s’il s’en tire plutôt bien ici dans le domaine de la cruauté froide, en particulier dans la conclusion du film…), et on applaudit à l’inverse le casting de la brillante Karin Viard, dont on sait qu’elle arrive toujours à tirer quelque chose des personnages qu’on lui confie, même les plus faibles.

On comprend bien que Fitoussi a voulu sortir des « rails chabroliens » en allant transposer sa perverse histoire de sexe et de vengeance dans le délicieux milieu des Français « expat », microcosme de prétentieux et de parvenus racistes, méprisant souvent le pays où ils sévissent (ici l’allemand est une langue laide, les Autrichiens n’ont pas de bonne viande ni de bons fromages, les bonnes polonaises ne sont vraiment pas fiables, etc. etc.), en effet bien révoltants. On sourit pas mal devant cette peinture bien enlevée, mais on se demande quand même si cela n’enlève pas de la pertinence à cet assaut contre ces parvenus de se limiter ainsi à une toute petite « classe sociale » : bref, pour l’aspect « politique » du film, on devra repasser, malheureusement.

Pour l’aspect thriller aussi, car il est difficile de complètement adhérer à cette accumulation de coïncidences qui finit par miner la crédibilité des nombreux rebondissements : Fitoussi aurait clairement mieux fait de simplifier son scénario, au lieu de jouer au malin – même si le cinéma qui joue au malin est bien dans l’air du temps, on le sait malheureusement. Elaguée, son histoire lui aurait permis de raccourcir un film qui ne fait que 1h50 mais semble interminable : 20 minutes et deux rebondissements en moins, et on aurait pu commencer à « parler de Cinéma ». Et à s’intéresser un peu plus à un bon sujet qui ne transparaît ici qu’en filigrane : car le désir de ces femmes qui se haïssent et s’entretuent – ne serait-ce que symboliquement ou indirectement – n’est pas dirigé sur les hommes – tous abjects ici – mais constitue avant tout le moteur d’une lutte sans merci pour prouver qu’on est la plus forte, qu’on garde contrôle, sous les Apparences.

Bref, il y avait là le potentiel d’un vrai bon film, à condition de dépasser les mécanismes usés du thriller bien policé, et de laisser soit la haine, soit l’émotion (ou peut-être les deux) donner vie à cette histoire. Ce n’est que dans les toutes dernières scènes que quelque chose advient enfin (en particulier grâce à la remarquable Evelyne Buyle…), et c’est beaucoup trop tard.

Eric Debarnot

Les Apparences
Film français de Marc Fitoussi
Avec : Karin Viard, Benjamin Biolay, Lucas Arthur Englander, Laetitia Dosch
Genre : Comédie dramatique, thriller
Durée : 1h50
Date de sortie en salles : 23 septembre 2020