[Interview] R.Wan : « La musique a la capacité de transformer nos pensées négatives en créations »

A l’occasion de la parution imminente de son nouvel album La Gouache (le 30 octobre prochain) R.Wan, de son vrai nom Erwan Séguillon, s’est prêté au jeu de l’interview, et a livré ses vérités sans ambages, sur divers sujets tels que la situation actuelle du monde, son sentiment sur les réseaux sociaux, le succès relatif de son dernier album en date Curling, ou encore l’avenir de son ex (futur nouveau) groupe Java.

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L’artiste, toujours très en verve, s’est également exprimé au sujet de ce nouveau projet très abouti, qu’il a concrétisé, épaulé par le réalisateur Jean Lamoot, lequel a collaboré avec Noir Désir, Alain Bashung ou encore Brigitte Fontaine, et qui l’a conduit jusqu’au Mali, à la rencontre de son plus grand ambassadeur, Salif Keïta.

Salut R.Wan, comment Java ?

Bonjour, Java bien, Java mine, merci. Si nous ne sommes pas assignés à résidence à perpétuité, nous devrions repartir en tournée après plus de 10 ans d’absence au printemps, été 2021… On a moins de cheveux, plus de poils blancs, plus de rides mais c’est toujours pas la menthe à l’eau !

Ton nouvel album, à paraître le 30 octobre prochain s’intitule La Gouache. Il est effectivement très coloré, très punchy et ajoute une nouvelle couleur à ta palette d’artiste. Peux-tu nous parler de sa conception et de sa réalisation ?

C’est simple, j’allais régulièrement voir mon ami réalisateur Jean Lamoot qui a un studio au bout de ma rue. Je lui ai apporté un son, il a branché le micro, pressé le bouton record et c’était parti. Jean a mixé tous les albums de Java, ça faisait longtemps que j’avais envie de travailler avec lui sur un album de A à Z.  Après mon LP précédent Curling qui il faut l’admettre fut un four notoire,  j’ai poliment été remercié par mon label de l’époque qui m’a fait comprendre que j’étais has been et que leur priorité était les « artistes de pop urbaine » (quel mot magnifique, j’attends l’avènement de la pop rurale). Cela m’a piqué au vif et au final, je les remercie. J’ai monté ma boite, j’ai tout fait avec mes petits bras. J’ai demandé des sons à des beatmakers : Fixi, Ignace Corso, Micho (Zoufri Maracas) , Gilles Lavanent, Nicolas Krassilchik, Toma Feterman et Tom Fire. J’ai posé des textes et j’ai refilé le bébé avec l’eau du bain à Jean. Nous avons passé plus d’un an et demi dans sa cabine à chercher, à faire venir des musiciens, à arranger, à couper, à jeter, à rajouter des couches etc…  Jean est le spécialiste du souffle, de la profondeur, c’est un alchimiste qui cherche en permanence l’accident qui va faire naitre la magie. Jean n’est pas un ingénieur du son, c’est un sorcier et c’est pour ça qu’il est autant apprécié par les musiciens maliens. Ce n’est pas à moi de juger de la valeur de ce disque, mais il y a une chose dont je suis fier, c’est qu’il va exactement dans le sens inverse des productions actuelles. Il est foisonnant, bordélique, Certains le trouveront  vieillot, moi je suis persuadé que la majorité des sons qui sortent actuellement vieilliront bien plus vite.

Salif Keita signe un texte puissant sur le titre Des humains. Comment s’est passé cette rencontre ?

Au départ, c’était une blague. Nous travaillions sur ce titre   composé par Fixi (Java). Je faisais part à jean de mon idée d’inviter un guest sur le morceau. Il m’a dit, attends, j’ai mixé le dernier album de Salif, j’ai les voix, on va essayer pour voir ce que ça donne. Il a sélectionné des prises et comme par enchantement la magie s’est opérée. Tout s’est mélangé harmonieusement. Même les deux textes sont très proches (je ne l’ai su qu’après car ma connaissance du bambara est très limitée). On a envoyé le morceau à Salif sans vraiment y croire et à ma grande surprise, son manager a dit banco. Salif adore le titre, il ne demande que deux choses (à part de l’argent, ahaha), c’est d’avoir le texte écrit et qu’il y ait un clip. Il ne restait plus qu’à trouver le réalisateur. Depuis plus de 20 ans, je tannais mon ami Siegfried (Louise Take 2, Sansa, Kinogama, etc …) pour qu’il m’en fasse un. Il avait toujours refusé car il n’aime pas ce format. Mais quand je lui ai fait écouter la chanson et que je lui ai dit qu’on partirait à Bamako, il a tout de suite accepté. Malgré le coup d’état, la crise du COVID-19, nous avons réussi à rejoindre le Mali. L’aventure a été intense, il faudrait au minimum 50 pages pour la raconter. Salif Keita est plus qu’une star au Mali et dans toute l’Afrique, c’est une légende. Et pourtant, il reste très accessible malgré le poids de sa notoriété. Débarquer dans un pays et être reçu par son plus grand ambassadeur, ça ouvre obligatoirement beaucoup de portes. je ne remercierais jamais assez Jean de m’avoir permis de découvrir l’Afrique subsaharienne (c’était la première fois que j’y allais) dans de telles conditions.

« Relayer toutes nos indignations, nos révoltes dans un entonnoir géré par des algorithmes qui sélectionnent les personnes qui pensent exactement la même chose que vous ne peut générer que de la frustration et un grand sentiment d’impuissance. »

Quels sont les artistes avec lesquels tu aimerais collaborer dans le futur ?

Le futur est un concept trop flou pour que je m’y projette. J’arrive déjà pas à prévoir deux jours à l’avance, alors le futur… Je dirais pour prendre une métaphore de marin (j’ai des origines bretonnes) que je navigue à vue … Et en ce moment, la vue n’est pas très dégagée, y a même beaucoup de brume. Mais une chose est sure, j’aimerais beaucoup retourner au Mali pour la musique.

On sent clairement le côté exutoire et libérateur sur le titre #TaGueule, hashtag qui pourrait servir dans bien des situations. Qu’est ce qui t’énerve (le plus) dans le monde d’aujourd’hui ?

Le monde d’aujourd’hui m’énerve beaucoup, mais je ne pense pas être le seul. La « crise du COVID » (depuis que je suis né, on me parle de crise) aura eu au moins le mérite de montrer aux personnes qui en doutaient encore que nous sommes gouvernés par une bande de bras cassés dont l’unique motivation est la préservation de leurs privilèges. Et je ne parle pas que de la France (même si on a de beaux champions) mais de la grande majorité des pays.
En tant que musicien et auto-producteur, je suis entièrement dépendant des réseaux sociaux pour diffuser ma musique. Cela me prend énormément de temps et j’entretiens une relation d’amour / haine avec ce grand café du commerce que sont Facebook et Instagram. Relayer toutes nos indignations, nos révoltes dans un entonnoir géré par des algorithmes qui sélectionnent les personnes qui pensent exactement la même chose que vous ne peut générer que de la frustration et un grand sentiment d’impuissance. Vu le nombre de conneries qui circulent sur les réseaux, j’imagine que tout le monde a au moins une fois dans la journée envie de dire #Tagueule. En faire une chanson est jouissif et en effet, un exutoire. La musique a cela de magique qu’elle peut transformer nos pensées négatives en création.
Ce morceau est le premier que nous avons enregistré avec Jean. Il est le point de départ de l’album.

« Moi, je suis un grand fan de Philippe Léotard, tout comme lui, je préférerais être nommé au ministère de la défonce. »

La période actuelle est rude pour les artistes (concerts et tournées annulés du fait du contexte sanitaire, subventions supprimées….), quel est ton sentiment sur le sujet ?
Je pense que la période est rude pour tout le monde et ce serait assez obscène de ma part de me plaindre de la situation « des artistes ». J’ai du mal d’ailleurs avec ce mot. Je me considère plus comme un artisan, un musicien (donc un chanceux) et comme les techniciens, les organisateurs de spectacles, les barmans, les patrons de boite de nuits, les stadiers, je suis au chômage.

Mais on aura toujours besoin de musique. Alors, on s’adapte. Je pars en tournée en formule duo avec l’accordéoniste Eric Allard Jacquin. Si les salles ferment, on jouera dans les bars et si les bars ferment, on jouera dans la rue et si la rue ferme, on jouera dans les appartements et si on interdit la musique, j’enverrai mes enfants sur les barricades car je ne cours plus assez vite pour faire la révolution. J’ai tendance à voir le verre à moitié plein. Peut-être que cette période de diète va permettre de faire le ménage. Je pense que tous ceux qui se cachent derrière un auto-tune, un son au marteau piqueur, des semi-remorques de lumières, de décors à la romaine, vont se sentir vraiment tout nus quand il s’agira de faire un guitare voix devant devant 300 personnes assises et masquées . C’est peut être une chance pour la musique.

rwan - la gouache

R.Wan nommé ministre de la culture, ça donnerait quoi ?

C’est marrant que tu me poses cette question car c’est le ministère qu’on proposait à Salif quand j’étais au Mali et qu’il a intelligemment refusé. Moi, je suis un grand fan de Philippe Léotard, tout comme lui, je préférerais être nommé au ministère de la défonce. A ce propos sais-tu s’ils ont retrouvé Roselyne Bachelot ?

Le dernier titre de l’album est une revisite du titre CRS mélomane, déjà présent sur Peau Rouge, sorti en 2012. Cette nouvelle version épurée est magnifiée par des arrangements somptueux, et permet à l’auditeur de redécouvrir ce texte fin, servi par une voix subtile et délicate. Comment est née cette idée ?

Merci, c’est trop de compliments, je rougis comme un gilet jaune sous les coups de matraque. Mon  titre « gyro »phare était diffusé dans les manifestations. Devant toute cette violence, je me suis dit qu’une version dans les pastels, sirupeuse à souhait apporterait un peu de douceur et d’amour pendant la charge. Je suis naïf et romantique, je crois que la musique peut adoucir les mœurs, même celles d’un C.R.S. C’est vous dire si je suis optimiste …

Tu peux nous donner des news de Sylvester Staline ?

Il va bien, merci, il se nourrit exclusivement de ramborsh et a toujours l’œil du tigre de Moscou. Contrairement à Joseph, il s’entend très bien avec (John) Lénine. La révolution du dance floor n’en est qu’à ses balbutiements, nous préparons l’avènement de la République en Marx. L’invasion des chars soviétiques est pour bientôt … Vive le Soviet Suprem.

Merci beaucoup R.Wan, bonne continuation et félicitations pour ce nouvel album très réussi !

Choucrane Rouya.

Interview réalisée par David COUNIL 

R.Wan – La gouache
Label : Modulor
Sortie : 30/10/2020