« Lumière ! L’aventure commence » : retour aux sources du cinéma avec Thierry Frémaux

Alors que nous venons de fêter tristement (à cause de la fermeture des salles de cinéma), le 125e anniversaire de la première projection publique le 28 décembre 1895, coup de projecteur sur les premiers films de l’histoire du 7e art, à travers l’admirable documentaire Lumière ! L’aventure commence.

Lumière ! L’aventure commence
Copyright Ad Vitam

Cet enthousiasmant voyage à travers le temps remonte aux origines du cinéma, inventé par le biais du Cinématographe par les frères Louis et Auguste Lumière en 1895. Cette exploration émouvante dans le patrimoine cinématographique universel conte la naissance du 7e art et l’avènement des tout premiers films de l’Histoire du cinéma. Thierry Frémaux, directeur de l’Institut Lumière (établie en lieu et place de l’usine des frères Lumière) et délégué général du Festival de Cannes, prêche la belle parole depuis près d’un quart de siècle avec une foi et une boulimie communicative. Ardent défenseur des premières images du cinéma, découvertes dans sa jeunesse, par cet épicurien des cinémathèques, Thierry Frémaux propose de décliner cet amour en offrant une merveilleuse leçon de cinéma sur grand écran.

lumiere-afficheUn documentaire anthologique s’ouvre à nous. Le concepteur de cet hommage nous propose 108 films sélectionnés (une passion récurrente chez cet homme pour les sélections et les listes de films) puisés dans le catalogue Lumière composé de 1422 films. En guise d’introduction on découvre (grâce à un photogramme), un gros plan sur un ouvrier, puis, par le biais d’un lent travelling arrière, la première image du tout premier film des frères Lumière Sortie d’usine III. Mais est-ce vraiment le tout premier film ? Le commentaire malicieux de Thierry Frémaux nous informe d’emblée que comme Scapin faisait de la prose sans le savoir, Louis et Auguste Lumière avaient inventé l’art du « remake » bien avant les futurs cinéastes, car plusieurs versions du « même » film existent. Par déductions vestimentaires entre autres et intelligence, le conteur à la voix chaude et claire nous indique avec quelques certitudes enfin le premier film tourné le 19 mars 1895. Une date historique qu’il serait bon de fêter dignement chaque année ! Il précise également avec une certaine émotion, que le premier personnage cinématographique : « c’est la foule, c’est le peuple ».

Cet hommage documentaire se décline habilement de 1895 à 1905, en onze chapitres thématiques pour honorer au mieux tout le spectre cinématographique de cette nouvelle invention. Chaque film précédemment nommé « vue », se compose de 17 mètres de pellicule (avec 16/18 images par seconde) découpé en bandes de 35 millimètres et dure environ 50 secondes. A l’heure où certains festivals du film mobile proposent aux cinéastes en herbe de décliner un court métrage d’une minute avec un smartphone, les frères Lumière pérennisent d’entrée le concept : « Un sujet, un traitement, un point de vue ». Respectant avec bienveillance le format de l’image 1.33 avec les bords arrondis de ces « vues cinématographiques » le remarquable agencement de ces petites pièces de « catalogue » offre un étonnant voyage à la base de cet art naissant où les « sorciers de l’image » vont montrer comme jamais avant eux, le « théâtre de la vie » et l’exploration du monde. Depuis 2017, c’est un immense bonheur de découvrir ainsi sur nos écran, tous ces films choisis pour leur pertinence et dans un souci de cohérence de l’ensemble du projet (aidé par une qualité de restauration absolument sidérante), une plongée qui s’avère une expérience sensationnelle.

On redécouvre le premier film comique de l’Histoire du cinéma avec le célèbre Arroseur et arrosé, on frémit devant Arrivée du train à la Ciotat, film provoquant à l’époque la terreur aux premiers spectateurs ayant peur que le train ne foncent sur eux, on sourit devant Repas de bébé, on s’extasie en voyant Démolition d’un mur, monté à l’envers où à l’endroit. De façon presque ethnologique ces films reprennent leur caractère si précieux et nous dévoilent comme rarement le portrait de la France de la fin du XIXe et l’avènement du XXe, à travers les rues de France où les pays du monde entier. L’érudition et les commentaires pédagogiques pertinents de Thierry Frémaux apportent un décryptage astucieux, une mise en perspective salutaire rétablissant ainsi à sa juste valeur le génie des frères Lumière et la qualité de leurs films si bien mis en scène. Par le biais de cette œuvre gourmande, au menu savamment concocté par ce Lyonnais d’adoption féru des bonnes tables, l’évidence apparaît enfin au grand jour, les frères Lumière ont posé les bases d’une grammaire cinématographique.

Chaque film montre l’étendue de leur savoir-faire, plaçant toujours une caméra fixe au bon endroit, dans un bon angle de vue, n’hésitant pas à pratiquer des installations sur des moyens de transports maritimes ou aériens, ascenseurs ou balcons pour offrir des « vues en panoramas », les futurs travelling du cinéma « moderne », ou des mises en scène savamment orchestrées et jouées par des membres de la famille ou quidams trouvés dans la rue, rejouant des gestes domestiques dans des saynètes de la vie quotidienne. Un cadrage toujours très soigné, où les diagonales sont élaborées avec soins, sans reconstitution, avec une profondeur de champ impressionnante ou une architecture de la mise en image totalement bluffante. Bienvenue dans la magie des premiers effets spéciaux, premiers gros plans et des premières émotions à travers cette exploration de l’enfance, de la France travailleuse (avec des métiers parfois disparus) ou qui s’amuse, du Paris de 1900, d’un monde tout proche qu’on découvre à l’aide d’opérateurs envoyés dans les quatre du globe. Un émerveillement pour les spectateurs de l’époque de découvrir la Turquie, l’Azerbaïdjan, le Japon, le Vietnam, et des villes comme Marseille, Londres, New-York, Jérusalem entre autres. Un nouveau monde s’ouvre devant sous leurs yeux ébaubis grâce à aux prises de vues réelles primitives des Alexandre Promiot, Constant Girel ou encore Gabriel Veyre pour ne citer qu’eux.

 

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Copyright Ad Vitam

Ce travail de composition tout au long du film souligne que ces « vues » sont déjà du cinéma dont certains films outre l’influence pérenne car inventrice va influencer de manière concrète les futurs cinéastes. Le narrateur met en lumière par sa voix off passionnément cinéphile les liens notables avec les réalisateurs George Méliès, D. W. Griffith, Yasujiro Ozu ou Luchino Visconti notamment qui sont nourris de ces « petits moments de vie » tournés par l’équipe Lumière. Par ce voyage ludique en « cinéland » se déploie une modernité dans ces fabrications d’images en mouvements qui convoquent aussi bien l’admiration, la mélancolie, la joie et une part essentielle de rêverie dont tous les cinéphiles possèdent pour aimer autant s’enfermer dans une salle obscure. Cet assemblage généreux de 108 « vues originales » restaurées somptueusement en tentant de faire honneur à la « sincérité technique » de ces « petits » film s’accompagnent avec grâce par une partition musicale entièrement emplie de morceaux de musique classique de Camille Saint-Saëns, musicien contemporain des frères Lumière. Un habillage orné notamment par les pièces Rhapsodie bretonne opus 7 bis ou Suite en Ré opus 49 de l’œuvre de Camille Saint-Saëns procure à ce voyage l’émotion et le lyrisme nécessaire pour mieux finir de nous envoûter. Une odyssée familiale vertigineuse en noir et blanc, où les analyses esthétiques et autres commentaires passionnants nous emportent dans un tourbillon d’images et d’émotions, où chaque recoin du monde est traité avec ce même sentiment d’égalité quel que soit là où l’on se trouve…

Une exploration didactique accessible qui impriment dans nos âmes de futurs souvenirs intimes, comme cette souriante petite fille vietnamienne du village de Namo courant vers nous, alors que la caméra est placée sur une chaise à porteur, ou encore l’exaltation de découvrir le sensationnel film Danse serpentine, venu de Rome en 1897 et colorisé à la main. Tant d’images vont hanter nos esprits cinéphiles et nourrir nombre de cinéastes de projets sur la toile. Le cinéma est un art généreux, l’art de l’ouverture sur le monde et l’art de transmettre aux autres. Thierry Frémaux est l’un de ses ambassadeurs les plus nobles pour décliner cette transmission, nous en sommes des témoins privilégiés. Avec ce précieux hommage, il anoblit les frères Lumière, et nous fait une offrande inestimable. Remercions-le à notre tour pour cette exploration cinématographique à travers ces trésors exhumés qui nous permettent dorénavant d’apprécier intemporellement l’ingéniosité des frères Lumière, si bien mise en valeur à travers cet indispensable : Lumière ! L’aventure commence. Captivant. Mémoriel. Émouvant.

Sébastien Boully

Lumière ! L’aventure commence
Film français réalisé par Thierry Frémaux
Genre : Documentaire
Durée : 1h30
À voir en VOD sur : UniversCiné / FilmoTV / CANALVOD / Orange