Kings Of Convenience – Peace Or Love : un disque absolument limpide et mystérieux

Comme quoi il ne faut jamais désespérer en musique, le 4e album des norvégiens arrive douze ans après leur dernière livraison. Le temps ne semble pas avoir de prise sur ce Peace Or Love, où l’on retrouve, à peu de choses prés, les mélodies limpides, la mélancolie exotique et les voix superbes des précédents opus.

 Kings of Convenience
Kings of Convenience © Salvo Alibrio

Cette science humaine qu’est la Géographie a peu à voir avec l’art musical, au contraire, bien souvent, il contribue à parasiter ou à brouiller les pistes. On explore les identités et les origines des musiciens, leur pays de naissance et leur langue et l’on se met à croire à y discerner des indices, des chemins possibles à suivre. Et si la musique était le seul esperanto qui puisse nous servir de lien commun et de passerelle entre les continents. Qui écouterait les disques du duo Kings Of Convenience pourrait difficilement deviner que les deux viennent de Bergen en Norvège et que les paysages de leur enfance ressemblent plus à des lieux tourmentés, à des Fjords avec cette lumière si singulière propre aux pays du Nord, un fin des terres sauvage.

Depuis leurs débuts et en particulier leur album inaugural, le sublime Quiet Is The New Loud sorti il y a déjà 20 ans, Eirik Glambek Bøe et Erlend Øye tissent une mélancolie qui ressemble tant à une forme de Saudade capverdienne, à un Fado portugais, à une Bossa Nova délestée d’une scansion, on ne trouvera aucune aurore boréale, aucun chant de baleine chez ces deux espions qui venaient du froid. Depuis 20 ans, ils saisissent l’évidence et la langueur dans des chansons concises et d’apparence légères. Il faudra toutefois se méfier des apparences souvent (toujours !) trompeuses avec le duo. Comme quelques autres groupes, Lambchop par exemple avant Flotus (2021), Kings Of Convenience confectionnent toujours le même disque constitué des mêmes ingrédients, des mêmes guitares, des quelques arrangements posés ici et là. Mais car il y a un mais, il y a toujours un mais, rappelez-vous cette phrase il y a quelques lignes, les apparences sont toujours trompeuses. Chaque disque se ressemble effectivement mais plus que de copier-coller une inspiration limitée, Eirik Glambek Bøe et Erlend Øye se plaisent à laisser les chansons de leur répertoire dialoguer entre elles, se répondre les unes aux autres, mettre en évidence la faiblesse de certaines harmonies passées pour magnifier l’instant présent et l’arpège de guitare ou le violoncelle tranquille.

Cultivant la rareté, les deux norvégiens de Kings Of Convenience se posent un peu comme des jalons dans nos parcours de vies, un peu comme des ombres changeantes. Il y a quelque chose d’assurément précieux dans la musique du duo, une simplicité également. On entend le soleil briller mais pas de ces soleils qui brûlent et aveuglent mais plus celui du petit matin, celui qui illumine des prairies bruissantes après une nuit de torpeur, cette chaleur douce qui s’installe et annonce le zénith, les oiseaux qui se réveillent, la vie qui reprend. Il y a dans la musique des Kings Of Convenience quelque chose qui revient toujours aux étés radieux, à ces routes ensoleillés, à la surprise au détour d’un chemin, à l’obscurité, l’ennui et l’angoisse mises à distance pour un instant comme un répit, comme une parenthèse, comme une parenthèse enchantée. Pas de doute, depuis leur disque inaugural qui se posait là en manifeste, le duo n’a jamais failli à son concept fondateur, à son dogme, la quiétude et la transparence. Toujours revenir à des mots simples, à un mode d’expression au plus prés du quotidien, chanter l’amour et le désamour. Assumer une certaine idée de la légèreté et de la futilité, appréhender le dérisoire et l’instant pour en faire autre chose.

Rain that falls upon my window
An infinite circle, drops of the miracle
That brought you into my life
Love is not only what I feel for you
It’s the spot in the pasture that’s been keeping me up
Right since the day when I fell for you
She’s between your time, trying to sleep
Have the sweetest of smell, it’s of you, I can tell
And it’s all that I have of you

It’s the blood that heals the wound

KIngs Of Convenience – Extrait de Killers

Il y a une forme de tropicalisme diluée, digéré et réimaginé par deux européens. On entendra ici et là quelques traces du Johnny Marr débutant dans les Smiths (Angel), on croira deviner la présence d’un Luis Bonfa mais c’est dans les petites choses, l’infiniment petit, le minuscule que Kings Of Convenience se fait le plus pertinent comme sur le sublime Love Is A Lonely Thing incarné en duo avec Feist qui revient encore une fois le temps de Catholic Country.

Même si les presque quarante minutes que dure Peace Or Love semblent ne pas compter et ne pas durer, même si tout cela s’écoule dans une douce harmonie, même si tout cela distille une élégance racée et une belle intelligence, on commence à connaître les deux norvégiens. On se doute qu’il fallut bien du travail pour que cette tranquillité s’installe dans les mélodies, pour que cette saudade exsude de ces chansons. Aussi étrange que cela puisse paraître, pour obtenir cette tranquillité, cette paix, il faut tant de travail et ce n’est pas le perfectionnisme des deux norvégiens qui viendra contredire cette certitude. Pour que l’on puisse partir en exode dans un champ gorgé de chants de cigales, il aura fallu à Eirik Glambek Bøe et Erlend Øye cinq longues années de travail, on aurait envie de parler de macération. Pour que le travail ne soit plus apparent, il en faut du travail en amont. Pour naviguer sur cette rivière, il faut connaître chaque coin et recoin, chaque méandre qui finit par rejoindre la mer, par s’y diluer et s’y perdre.

It’s true, I’m more wise now than I was when I was twenty-one
It’s true, I’ve less time now than I had whеn I was twenty-one
I feel so vulnerablе when you are not around
You have so much power over me

KIngs Of Convenience – Extrait de Washing Machine

Et Erlend Øye d’ouvrir ce disque par cette phrase plus profonde qu’elle n’y paraît , Je te sais généreux et gentil, jamais aveuglé par ce monde fou sur Rumours comme si le norvégien nous demandait par politesse et par respect envers ses chansons avant d’entrer dans ce disque de nous délester du quotidien et du banal, d’accepter de nous regarder dans notre intégrité, notre totalité, nos défauts et nos failles comme nos réussites et nos forces. Et de poursuivre notre parcours avec Rocky Trail, ce chemin rocheux et escarpé, ce monde qui pèse trop lourd sur nos épaules. Et se confronter à un silence froid et insensé, à une absence intolérable, à la perte d’un être aimé sur Comb My Hair. Et de convoquer dans un même raout Peggy Lee et Jens Lekman le temps de Fever. Et d’assumer ses faiblesses et de glorifier la force du collectif sur Ask For Help. En creux dans cette simplicité, on retrouvera ce qui fait toujours les énigmes des paroles du groupe, une confusion des sentiments, une ambiguïté du sujet à l’image de Song About It qui continue de résister à notre interprétation.

Kings Of Convenience use depuis ses débuts de l’art du trompe-l’œil et du jeu avec l’anecdotique. Avec Peace Or Love, le duo signe un disque absolument cohérent, limpide et mystérieux. Cernée par la grâce, leur musique est comme un shoot de vitamine D, comme une cure de soleil, comme une luminothérapie au cœur de l’hiver, un disque de saison pour toutes les saisons.

Et Si Kings Of Convenience peignaient une géographie étrange, un fjord aux eaux chaudes et aux plantes méditerranéennes ? Et si Kings Of Convenience, à eux-seuls étaient une cinquième saison, un été indien aux saveurs d’automne peut-être ?

Greg Bod

KIngs Of Convenience – Peace Or Love
Label : EMI
Sortie le 18 juin 2021