« La France sous nos yeux », de Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely

Aussi impressionnant que passionnant, La France sous nos yeux  de Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely est un ouvrage essentiel qui dissèque avec précision la « France d’après », qui se trouve être la nôtre.

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Morlaix, – Creative Commons CC0.

Déjà auteur en 2019 d’un remarquable Archipel français dans lequel il faisait le constat de l’éclatement de notre société, Jérôme Fourquet , directeur du département Opinions de l’Ifop, récidive, cette fois en compagnie du journaliste Jean-Laurent Cassely (Slate et L’Express), avec un ouvrage qui, nous en prenons les paris, fera date.

La France sous nos yeuxLe pitch de La France sous nos yeux ? Nous, Français, évaluons encore largement notre pays par rapport aux Trente Glorieuses, ou à leur achèvement, alors même qu’il date de 40 ans. Or, selon les deux auteurs, la France d’aujourd’hui est plutôt la résultante de ce qu’ils nomment « la Grande Métamorphose » survenue dans les années 80-90, et qui a vu le passage d’une société construite autour de la production à une société très largement dirigée vers la consommation, le tourisme et les loisirs. Cette France d’aujourd’hui est donc une « France d’après » : après la « Grande Métamorphose », après la désindustrialisation (en synthétisant à l’extrême).

Pour effectuer leur état des lieux, Fourquet et Cassely ont fait le choix de ne pas en faire justement et de TOUT analyser : évolution des prix de l’immobilier, activité économique, habitudes alimentaires, succès cinématographiques ou musicaux, campagnes, villes, banlieues, etc, etc, etc. Tout, absolument tout ce qui compose et constitue le pays dans lequel nous vivons, et que nous ne prenons pas toujours le temps de voir et encore moins de regarder, est passé au crible de données, d’études et d’analyses précises, circonstanciées, étayées par des chiffres, cartes et graphiques dûment sourcés.

La France sous nos yeux en rebutera certains par son approche exhaustive et universitaire (500 pages hyper denses), avec abondance de chiffres, de pourcentages, de camemberts etc. Pourtant, si leur méthode est scientifique et académique, Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely ont opté pour un rendu « grand public », consultable par tout un chacun, de manière exhaustive là encore, ou en fonction de nos propres intérêts : ainsi, La France sous nos yeux est-il extrêmement découpé, permettant de ne lire que certains chapitres bien précis et, pourquoi pas, totalement indépendants les uns des autres.

Surtout, la grande force de cet ouvrage qui se révèle néanmoins pleinement dans son entièreté, c’est d’avoir réservé de larges sections à ce qu’on nommera, faute de mieux, la pop culture ou encore la vie quotidienne. On trouvera ainsi des chapitres consacrés aussi bien à la place du kebab ou du tacos (le néo kebab) dans l’alimentation des Français, qu’à celle des influenceurs, de la Dacia dans le parc automobile hexagonal ou encore, moment fort, à la description du mode de vie « Plaza majoritaire » (ces résidences pavillonnaires dont les intérieurs ont été largement façonnés par la normé diffusée par les programmes de M6 et notamment ceux animés par Stéphane Plaza). Avec, à la clé, de véritables révélations, comme celle, pour n’en citer qu’une, qui nous apprend que pas moins de 9% de la population française se passionne pour… la musique country.

Pas étonnant dès lors qu’une large partie de l’ouvrage soit consacrée aux classes moyennes et à leur « démoyennisation » i.e. à leur segmentation, à la fois par le bas (naissance de la France discount des bons plans, de la débrouille, de Gifi ou des « boulangeries de ronds-points ») et par le haut, via une « premiumisation » galopante qui, par exemple, oblige à payer ses burgers au-dessus de 15€.

Au final, on ne sait ce qui impressionne le plus dans La France sous nos yeux, entre la somme de travail manifeste, l’exhaustivité de l’approche et la pertinence du résultat.  L’ouvrage donne le sentiment d’avoir traversé le pays du Nord au Sud et d’Est en Ouest mais également en profondeur, au cœur des différentes strates de la population qui composent le « millefeuille culturel français ». Une somme imposante, qui donne le vertige, et qu’il convient de rapprocher d’un autre projet un peu fou (et d’ailleurs cité par les auteurs avec une pointe d’admiration) : celui porté par les photographes Eric Tabuchi et Nelly Monier qui, via leur magnifique Atlas des Régions Naturelles, ont entrepris de créer une véritable encyclopédie photographique de la France. Dans les 2 cas, la même volonté de mettre en lumière ou de ré-véler des pans de territoire d’un côté, de cultures et des populations de l’autre, que l’on ne soupçonnait pas, ou que l’on ne voyait pas, alors qu’ils sont bien là, sous nos yeux.

Laurent Garcia

La France sous nos yeux
Economie, paysages, nouveaux modes de vie
Essai de de Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely
Éditeur ‏ : ‎ Le Seuil
496 pages – 23€
Date de parution : 7 octobre 2021